23. Ça y est, cette fois, c’est la bonne. Je me pince pour y croire. Sur les marches du palais de justice, il y a Judith, moi en compagnie de nos avocats respectifs. Après les salutations d’usage, ceux-ci s’éclipsent d’un pas pressé. Il est environ 11 h. La journée est resplendissante. Nous sommes désormais divorcés. On se regarde gênés. Judith porte une robe blanche en organdi qui met en valeur ses épaules et sa taille fine. Cela lui donne l’allure d’une jeune mariée.
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Tu prends le métro?
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Non, j’ai rendez-vous au café du Louvre.
Je lui demande bêtement si je peux l’accompagner. Elle accepte. Nous voilà déambulant le long de la Seine, comme deux touristes. Je la regarde à la dérobée, intimidé. Elle est radieuse. Je le lui dis. Elle éclate de rire. « Ma parole, tu me dragues ! »
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Bien sûr ! ai-je balbutié.
Elle rit de plus belle.
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Dis-moi, au lieu de me refaire la cour, Roméo, as-tu des nouvelles de David ?
C’est ainsi que nous avons enchaîné sur l’une de nos conversations qui empoisonnaient nos journées : David. Car nous n’étions d’accord sur rien à son propos. Les choses avaient changé maintenant. Il m’avait en effet donné des nouvelles. Il avait trouvé du travail comme appariteur dans un théâtre. De plus, il s’était réinscrit à la fac de droit. Ce qui gonfla sa mère d’aise.
Elle marchait d’un pas vigoureux.
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Et toi, depuis ton pugilat médiatique ?
Je lui ai dit, en me massant l’arcade sourcilière, que j’avais rendez-vous avec un autre avocat dans l’heure qui venait. On a marché un moment ensemble, silencieux. Nous avons croisé la place Saint-Michel où nous nous étions donné rendez-vous la première fois. Mais ni elle ni moi n’avons pipé mot. La circulation s’était intensifiée. Les échoppes des bouquinistes bourdonnaient d’activité. Nous avons longé la berge. Quelque chose m’intriguait.
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Pourquoi finalement as-tu décidé de divorcer ? Tu as accepté toutes les conditions, je n’en reviens pas !
Elle se tourna vers moi, embarrassée et rieuse à la fois.
– Je voulais te l’annoncer un peu plus tard mais autant te le dire tout de suite : je déménage à la fin du mois. Je quitte Les Lys.
Je suis resté bouche bée.
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Ah ! Et pourquoi ?
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Tu ne comprends pas, dit-elle, en secouant la tête. Décidément, tu ne changeras jamais !
C’est alors que j’ai compris.
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Tu es amoureuse ?!
Son rire se transforma en gloussements de jeune fille. Mais aussitôt je me suis rembruni.
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Je le connais ? ai-je demandé stupidement.
Elle se rebiffa. Elle me dit dans la précipitation : primo, que non je ne le connaissais pas ; secundo, que c’est un être absolument délicieux ; tertio, qu’elle allait le rejoindre à Aix où il avait un important cabinet d’architecte ; quarto, qu’elle y avait déjà loué son bureau.
Je n’en revenais pas. Tout cela me semblait si soudain. Ce qui me valut cette réplique acide.
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Avec toi, j’ai été vaccinée !
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C’était parfaitement stupide de ma part, je le reconnais.
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Ne fais pas cette tête. La voie est libre. Tu ne seras plus en concurrence avec moi
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Non . J’ai renoncé. Je ne suis pas assez doué pour ça. J’ai trop de « failles narcissiques » comme beaucoup d’hommes . C’est ainsi que tu le dis
Elle sourit
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Que vas-tu faire ?
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Je ne sais pas encore. Je trouverai bien.
Nous nous arrêtâmes un moment à l’entrée du pont des Arts, couvert de cadenas. J’ai eu un pincement au cœur. Mais c’est Judith qui parla cette fois.
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C’est ici que tu m’as embrassée, tu te souviens.
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Et comment !
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C’était très romantique. Et toi qui n’osais pas parce que j’étais encore avec mon petit ami. Tu étais très amoureux, gloussa-t-elle, et je l’étais aussi. Je lui ai pris les mains et ai voulu l’embrasser. Elle s’écarta.
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Ne regrettons rien. Nous avons fait un bout de chemin ensemble et nous avons un fils magnifique. Et une vie intéressante. Peu de gens peuvent aujourd’hui en dire autant. Mais la page est tournée. C’est ici que nos chemins se séparent.
Elle me serra longuement dans ses bras, puis s’engageasur le pont des Arts sans se retourner.
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