L’arcane 20, c’est le jugement. il représente la seconde chance, la seconde opportunité… Deuxième opportunité : 2 x 10 de revivre autrement autre chose, renouveau complet. Occasion de “racheter ses fautes”. c’est le soleil. Dans un tirage courant, cet arcane peut signaler l’éclaircissement d’une situation, d’un événement passé ou actuel, ce qui procure des éléments nouveaux à la pensée. Cette mise en lumière est neutre puisque l’effet provoqué va dépendre de la façon individuelle de percevoir et de traiter ce qui est révélée…
Je vous rappelle la proposition formulée au début de cette année. Depuis le 4 janvier, je publie chaque jour (lorsque je n’oublie pas) les les trente-trois chapitres de ce roman inédit sur mon site www.fulvio-caccia.com. ici vous ne lirez qu’un extrait . Si vous voulez lire la suite vous n’aurez qu’à cliquer sur le lien du blogue. A bon entendeur, salut !
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20.
– Merci Jim, de m’avoir à nouveau tiré d’embarras.
Mon ami sourit et hocha la tête en guise de dénégation. Le soir était tombé et nous déambulions dans une des rues attenantes du commissariat. Une tiédeur agréable flottait dans l’air. Je marchais en boîtant légèrement.
-Je vous rembourserai la caution dès que je pourrai.
– Vous n’avez pas l’intention de vous enfuir, j’espère !
Sous un lampadaire, mon ami inspecta les pansements à l’arcade sourcilière puis fit une grimace.
– Vous avez faim ?
– Je crève la dalle.
– Je connais un bon petit resto tout près d’ici.
Il consulta sa montre.
– Il doit être encore ouvert.
Le restaurant était un établissement familial de cuisine espagnole. Nous nous attablâmes dans la section réservée aux fumeurs. Le patron fit un accueil chaleureux à Jim mais me dévisagea d’une drôle de manière : distante et familière. Lorsqu’il s’éclipsa, Jim m’expliqua pourquoi ma personne suscitait autant d’intérêt et cela ne tenait pas seulement à mon visage tuméfié.
– Vous avez fait l’ouverture du JT !
J’étais abasourdi. Je suis resté un moment interloqué, ne sachant que penser.
Ça relancera peut-être mon bouquin, ai-je fini par dire, mi-figue, mi-raisin.
– Et tout ce qui va avec !
Jim semblait chercher ses mots.
Ce n’est pas seulement la bagarre pour l’art qui a été médiatisée, mais aussi les affaires qui vous pendent au nez.
Un large sourire embarrassé fendait maintenant sa bouche.
À l’heure qu’il est, poursuivit-il, vous avez dû recevoir une avalanche de messages.
Voulant en avoir le cœur net, j’ai mis aussitôt sous tension mon portable. En vain. Il avait été abîmé lors de l’échauffourée. J’ai haussé les épaules, puis attaqué les entrées.
Vous êtes sûr, continua Jim, de vouloir poursuivre pour plagiat le président de cette association. Car lui en revanche va porter plainte pour coups et blessures. Vous pourriez négocier une entente à l’amiable ?
J’avais déjà fini mon assiette.
Vous êtes devenu avocat maintenant ?
Non. Mais j’en connais un excellent. C’est un très bon ami. Je lui ai parlé de votre cas. Il est prêt à s’en occuper.
J’ai émis un grognement.
Croyez-moi, ajouta Jim, dans la situation où vous êtes, vous avez intérêt à assurer vos arrières.
Je l’ai regardé dans les yeux.
D’abord, ce n’est pas moi qui me suis mis dans cette situation. Elle m’est tombée dessus comme une pluie de tuiles.
Vous ne pouvez pas toujours vous défausser sur le sort. Après tout c’est votre livre qui a tout déclenché.
Mais personne ne l’a lu, ce foutu livre !
Et pourtant….
On dirait que j’en suis encore prisonnier, que je revis à rebours son histoire, celle qui est écrite entre les lignes.
J’avais dit cela sans réfléchir, sous l’impulsion d’un désarroi par trop familier, puis je me suis tourné vers mon ami. Jim me regarda, goguenard.
– Les lacaniens purs et durs ajouteraient qu’en tant que sujet vous êtes en train de vous évacuer comme objet. En d’autres termes, vous êtes en train de déchoir de votre fantasme. D’où cette impression de redoublement…
Je n’écoutais que d’une oreille, le nez plongé dans mon assiette en proie à une sorte de dépression intérieure qui me tirait vers le bas.
Vous croyez vraiment que je peux faire un bon analyste après tout ça ?
Jim s’arrêta de manger.
Vous êtes en train d’éprouver votre désir de le devenir. Vous ne serez certainement pas un psy orthodoxe. Mais cela n’a aucune importance.
C’est ce à quoi sert la passe ?
Cela permet à l’aspirant analyste de revisiter son analyse en la racontant à un passeur, c’est-à-dire à un patient en analyse.
Et vous, qu’en pensez-vous?
Je trouve le procédé biaisé. D’ailleurs, je ne le pratique pas pour ma part. Tout se passe en famille si je puis dire. C’est un membre de son mouvement qui choisit l’analysant à qui le postulant va raconter son analyse. Cela dit, Lacan lui-même est revenu là-dessus vers la fin de sa vie. Il disait laisser la passe à ceux qui « se risquent à témoigner de la vérité menteuse ».
« Vérité menteuse… », médita Fox. On dirait une définition romanesque !
Dans votre cas, ce qui est intéressant, c’est que la passe, vous l’avez commencée par lecteur interposé.
C’est-à-dire…
… Que vous avez témoigné de votre analyse en prenant à témoin le plus improbable et évanescent des analysants. En fait, chaque écrivain se trouve dans cette posture : demander à un inconnu de le confirmer dans son désir d’écrivain. Les libéraux pensent que cette confirmation se fait uniquement par l’acte d’achat du livre, mais c’est dans l’inconscient du lecteur que tout se joue. Là réside le transfert.
Mais je n’ai rien raconté de personnel dans ce foutu roman. Alors pourquoi cette réaction ?
C’est que le transfert fonctionne à plein régime.
Vous voulez dire que cette bande de narvalos m’a pris pour leur analyste ? Décidément, j’aurais préféré plus de lecteurs et moins d’allumés !
Ce qu’on appelle réalité, précisa Jim, est une construction à la fois symbolique et imaginaire. Ce qui doit se consumer, ce sont les illusions de l’imaginaire qui est une sorte de pellicule stratosphérique qui enveloppe nos désirs. C’est à sa surface qu’adviennent et se frottent les phénomènes météorologiques ou météores.
Ce que vous appelez météore, c’est le désir de l’autre ?
Sur ces entrefaites, arrivèrent les plats principaux, une dorade grillée et un calmar à la plancha pour moi. Cela me rappela ces voyages en Espagne. Je commençais à comprendre la cause du cyclone d’événements qui venait bouleverser ma vie.
Je me demande pourquoi ce connard qui se prend pour le nouveau messie de l’art a volé le nom de mon personnage.
Il ne l’a pas volé. C’est votre personnage !
Très drôle ! Demandez-lui si, par hasard, il serait mêlé à la mort de ce pauvre Driss ?
Certainement ! répliqua le psychanalyste.
Je l’ai regardé, perplexe.
Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Je vous renvoie à la structure de votre livre. Killroy, le peintre en pleine crise existentielle, représente la partie visible « réelle » de votre roman tandis que Gap, le tagueur branché, illustre l’imaginaire et Xan, l’artiste insaisissable, le symbolique. C’est la tripartition du réel chère à Lacan. Nous naviguons habituellement de l’un à l’autre. Dans la séquence que vous vivez maintenant, tout est inversé, vous l’avez constaté vous-même.
Pourquoi ?
Parce que vous êtes dans la séquence purement imaginaire.
Il prit une autre bouchée.
Paul Valéry avait qualifié jadis l’imaginaire de « petit temps », un monde fondamentalement instable. C’est aussi celui des correspondances baudelairiennes.
Merci, monsieur le professeur, de cette dissertation. Mais moi, j’ai sur le dos deux complicités de meurtre, une voie de fait et un divorce. Cela ne me dit pas comment je vais m’en sortir !
Jim avait fini sa dorade et consultait son agenda.
-Je vais vous donner le numéro de mon ami avocat. Je crois qu’il est libre le 11.
Non, le 11, j’ai rendez-vous avec le juge à propos de mon divorce !