Je vous rappelle la proposition formulée au début de cette année. Depuis le 4 janvier, je publie chaque jour (lorsque je n’oublie pas) les les trente-trois chapitres de ce roman inédit sur mon site www.fulvio-caccia.com. ici vous ne lirez qu’un extrait . Si vous voulez lire la suite vous n’aurez qu’à cliquer sur le lien du blogue. A bon entendeur, salut !

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31e jour

25.

Les longues jambes délicatement galbées de la conseillère d’Etat venaient de quitter la limousine lorsque le commissaire surgit devant elle.

Myriam Yacine, impeccable dans son tailleur Saint-Laurent, sembla agacée en le voyant.

  • Pourquoi ne m’avez-vous pas appelée?

  • Difficile. Vous ne répondez jamais à mes appels.

Il fit une pause.

  • C’est très important.

La jeune femme regarda sa montre puis la façade de l’hôtel particulier où était logé son bureau.

  • J’ai dix minutes.

La lumière du matin avait quelque chose de diaphane, de cristallin, qui donnait à chaque objet un contour transparent, nouveau. Ils marchèrent en silence. Le commissaire, comme un ours mal léché, la toisait.

  • Alors, que voulez-vous me dire ?

  • Pourquoi avez-vous mis Fox dans le coup ?

  • Ça me regarde, dit-elle sèchement.

  • Ça me regarde aussi, figurez-vous ! C’est moi qui mène l’enquête ! Il va tout faire foirer.

  • Je ne lui demande pas de faire une enquête mais de savoir pourquoi mon frère est mort.

  • Vous espérez quoi ? Vous racheter ?

Myriam le foudroya du regard.

  • Parlez pour vous-même.

Marleau accusa le coup.

  • On n’achète pas le temps perdu, poursuivit-il d’une voix lasse. On croit connaître nos proches mais en fait on ne sait rien d’eux, ou si peu.

  • Moi, je saurai.

Marleau la regarda, un sourire narquois aux lèvres.

  • Vous croyez ?

Il alluma une cigarette.

  • On pense découvrir un autre aspect de ceux qu’on aime ou du moins, poursuit-il, qu’on croit aimer, mais on s’aperçoit finalement que c’est l’image de nous-même que nous recherchons à travers eux.

Myriam s’était arrêtée de marcher. À côté, un kiosque à journaux ouvrait sa devanture.

  • Que voulez-vous dire ?

  • Vous le savez.

Myriam fronça les sourcils.

  • Et cette image n’est pas bien reluisante ; c’est celle de notre propre désarroi, de nos échecs.

Il la fixa droit dans les yeux.

  • Vous avez du pouvoir et de l’argent, vous avez réussi à force de volonté ; vous croyez ainsi pouvoir vous acheter une bonne conscience. Mais c’est une illusion. Votre frère est un prétexte.

Myriam fixait le sol, prostrée comme si une douleur intense l’avait saisie.

  • Allez-vous-en ! Allez-vous-en !

26.

J’ai retrouvé Corine à la fin de l’après-midi dans un restaurant près de Beaubourg après mon rendez-vous chez l’avocat. Car elle avait tenu absolument à revoir le musée national d’Art contemporain. Elle était en train de feuilleter le catalogue de l’exposition permanente et semblait énervée. Qu’est-ce qui la mettait dans cet état ? Les mots lui vinrent difficilement pour exprimer les émotions mêlées qu’avait fait naître sa visite. Elle dit d’abord son émerveillement pour l’art antérieur aux années 70 puis, dès qu’on se rapprochait de notre époque : un progressif désanchentement. C’est comme si, à partir des années 80, l’art moderne avait épuisé ses ressources et en était réduit à mettre en scène son désœuvrement, bref son déclin.

Le point de bascule, selon elle, se trouvait entre la fin des années 70 et le début des années 80. Quelque chose s’était passé, où ce qu’on appelle la « modernité » avait commencé à régresser pour devenir conservatisme, caricature… Elle sourit, s’arrêta.

    • C’est un point de vue personnel. Je ne suis pas un expert!

Je constatais que son sens critique était encore plus affûté. J’en ai rajouté une couche en dénonçant le paradoxe de notre temps où jamais les moyens d’expression n’avaient été aussi nombreux et les lieux d’autorité aussi rares. Notre indignation commune à l’égard des dérives de l’art nous rapprochait.

    • Justement, ai-je rebondi, il y a foison « d’ex-pères » – je devrais dire « ex-mères » en ce qui te concerne – qui accaparent la parole publique sous prétexte d’avoir une spécialité. Ils sont pour la plupart incapables de penser en dehors de leur prétendu domaine de compétences, incapables de penser les relations. Or c’est cette intelligence des relations qui fonde l’autorité, si dramatiquement absente aujourd’hui.

Ma sortie faite, j’ai piqué une olive avec un cure-dent dans le plat déposé sur la table en la regardant de biais. Elle souriait ironiquement.

    • Tu ne manques pas d’air, toi qui as été incapable de penser les relations avec tes propres femmes.

Je suis resté bouche bée.

    • Tu ne m’as jamais expliqué, finit-elle par dire, les raisons de ton départ, ni pourquoi tu as changé de nom.

Le ton de sa voix n’était pas agressif mais résolu. Un ange passa et le passé reflua comme une lame sur ma mémoire. Je m’en voulais. J’avais été bête et prétentieux. Comment avais-je pu faire l’impasse sur les circonstances de notre propre séparation?

    • Je n’étais pas prêt, ai-je bégayé. Ce que je vivais avec toi était trop intense…

J’ai baissé les yeux. J’étais piégé.

    • En changeant de nom, je voulais tourner la page.

    • Je te faisais peur…

Elle me fixait plus curieuse que méfiante. J’ai acquiescé de la tête. Comment lui avouer qu’elle était mon double, mon alter ego ? Et puis… il y avait Marie. J’ai décidé de tout lui dire, si ridicule que cela puisse paraître.

    • Quand ce jour-là, tu m’as appelé sans discontinuer toute la journée, j’étais parti chez un ami à la campagne. J’avais besoin de faire le point. J’étais en train de quitter Marie mais ne savais pas comment. Et toi qui étais là. Je me sentais coincé. A tort ou à raison.

En lui parlant, je me suis rendu compte que je ne la regardais pas. Je fixais un point au loin au-dessus de sa tête.

    • En fait, lui ai-je dit, cela ne concerne que moi. C’était une sorte de combat intérieur que je menais et mène encore contre moi-même pour me sentir plus libre, en mesure de mieux gouverner ma vie.

    • Qu’est-ce que tu veux dire ?

J’ai bu une gorgée de vin. Pourquoi diable ne comprenait-elle pas ? Elle était comme Judith, elle aussi. Ne se rendait-elle pas compte que j’étais perdu, que j’avais toujours été ainsi, incapable de prendre des décisions, de mener une « carrière », avoir une stratégie. Je me sentais effondré de l’intérieur, réduit à mon seul penchant hédoniste et contemplatif. Dans ses yeux, je voyais le gouffre qui était en moi. Mais pourquoi étais-je en train de lui dire tout ça ? Qu’est-ce que j’attendais de ce grand déballage? Tout cela était ridicule.

    • Si je te suis bien, tu me vois comme une éternelle source de plaisir et de jouvence. C’est ça ?

    • Tu es mon fantasme !

Nous avons ri à grands éclats. L’atmosphère se relâcha.

– Et moi, qu’ai-je été pour toi ? ai-je demandé.

Corine réfléchit.

  • Je ne te le dirai pas, reprit-elle sur un ton plus modéré.

J’ai insisté.

  • Une occasion ratée. Une illusion.

  • Il me fallait partir. En restant, je serais devenu fou.

  • Qu’en sais-tu ?

  • Fuir a été pour moi la solution qui s’imposait alors. Et le projet qui ne décollait pas.

  • Il aurait fallu que tu t’engages pour ce faire. Tu étais le mieux préparé d’entre nous.

  • Appelle cela désertion, lâcheté, cela m’est égal. C’est peut-être une erreur. Mais je n’avais pas le choix.

  • Oui ! rétorqua-t-elle. tu aurais pu très bien te réaliser chez nous. Que diable ! Il n’y avait pas de guerre ou de catastrophes.

  • Mes motivations étaient égoïstes et j’envie ces exilés qui partent pour des raisons politiques et y puisent ensuite leur inspiration et leur engagement. Je n’ai pas eu leur courage.

  • Quand tu es parti, on a tous éprouvé un sentiment de trahison.

Je l’ai regardée, surpris.

– C’est m’attribuer un pouvoir que je n’ai pas !

Corine hocha la tête.

  • Tu méconnais ton pouvoir.

  • Heureusement, sinon je serais devenu carrément imbuvable. J’aurais pu difficilement passer à travers les portes ! Plus sérieusment, je suis parti parce qu’il le fallait. Je suis un grand émotif. Un rien m’enthousiasme ; un rien m’abat.

  • Là tu as été servi, on dirait !

Fox cligna de l’oeil.

  • Servi ?

  • Pas encore. Garçon !

32e jour

27.

Il est troublant de faire enfin l’amour à tant d’années de distance avec une femme que l’on n’a jamais cessé de désirer. Cela m’avait semblé si improbable que je n’étais pas certain, ce soir-là, de l’avoir raccompagnée à son hôtel. J’avais bu plus que de raison et les effets du Septième Ciel étaient revenus, atténués certes, mais avec la sensation nouvelle d’être habité par un intrus qui guettait mes moindres faits et gestes. Je me suis souvenu de l’ascenseur, de la chambre aux tentures rouges et puis cette délicieuse sensation d’abandon que l’on ressent lorsqu’on retrouve son foyer après un long voyage.

Le corps de Corine avait conservé la candeur de notre première rencontre. La toison de son sexe était moelleuse et blonde, et la peau de son ventre d’une ravissante douceur. J’avais posé ma tête dessus et une sensation de bien-être m’avait envahi ; une sarabande d’images m’emportait dans une ronde où s’entremêlaient souvenirs anciens et impressions inédites.

Elle me réveilla très tôt le lendemain matin. Ses affaires étaient prêtes. Son taxi l’attendait déjà. Elle proposa de me déposer à la Porte, puisque c’était sur le chemin de l’aéroport.

Durant le parcours, nous sommes restés silencieux. Une fatigue extrême m’avait gagné comme une marée d’équinoxe. J’étais dans un état de somnolence dont je ne parvenais pas à m’extraire. Lui avais-je demandé de la revoir ? Oui, bien sûr. Mais elle se contentait d’esquiver ses réponses d’un drôle de sourire. Le taxi s’arrêta. Je suis sorti et l’on s’est embrassés furtivement. Puis la voiture s’est engouffrée sur la bretelle du périphérique.

Une lueur dans le ciel ; l’aube se levait. Plus bas, le périph faisait entendre son ronronnement de basse continue. J’ai marché jusqu’à chez moi comme un automate puis me suis recouché tout habillé pour essayer de reprendre le fil du rêve interrompu, et ce rêve était peuplé de sensations nouvelles.

D’abord il y eut cette image composée d’aplats jaune vif et verts. De loin, on aurait dit un tableau de Gauguin, de ceux de sa période Pont-Aven. Mais en se rapprochant, Nathanaël s’était aperçu que c’était une photo prise du ciel qui représentait des jardins maraîchers en damiers – doù le vert très intense – entourés de champs de blé fraîchement coupés. C’est mon père qui la tenait à bout de bras. Il m’expliquait qu’étant adossés à la frontière, l’autoroute y passerait ; il y avait une belle opération financière à réaliser. Il en parlait avec une excitation non déguisée. Au début, j’ai pensé qu’il parlait de son village natal. Mais je me suis rendu compte que c’était là où se trouvait le village de son meilleur ami. C’est alors que je vis Myriam Yacine ; elle m’appelait ; un homme plus âgé l’accompagnait. Il était assis et lisait la section nécrologique d’un quotidien. Puis il rabattit les pages et éclata de rire. C’était Jim. Surgit une jeune femme qui ressemblait à Corine ; elle était plus grande et ses cheveux étaient bruns ; l’inconnue au sourire coquin me fit signe de la suivre. Elle pénétra dans un dédale de grottes et s’arrêta enfin dans l’une d’elles, spacieuse, accueillante, éclairée à la chandelle ; elle m’embrassa puis me fit basculer dans le lit. Elle me déshabilla et nous fîmes l’amour. Myriam nous avait rejoints mais un homme jeune l’apostropha :  » Tu n’aurais pas dû l’amener jusqu’ici ». Je le reconnus : c’était Driss. Le mépris se lisait sur son visage avant de sortir. Je me suis élancé à sa poursuite. Je le vis se saisir d’un oiseau qui sautillait sur les aiguilles de pin. Son plumage argenté brillait dans la clarté. Une étrange mélopée sortant de son gosier imitait la voix humaine et les notes composaient une ritournelle suave et nostalgique.

À son chant, Driss se recroquevilla comme une feuille morte pour s’endormir. Alors des syllabes, des consonnes apparurent dans le refrain comme une comptine d’enfant ; deux mots brefs se détachèrent dans une langue étrangère, revenaient, lancinants, martelés comme des coups de gong, de plus en plus rapprochés et de plus en plus puissants. Je me suis réveillé en sursaut. On sonnait à la porte. J’ai sauté du lit et déboulé l’escalier. Les cloches de la sonnerie se rapprochaient. C’était Fernand.

  • Ah, dites donc. Ce n’est pas trop tôt ! dit-il en me voyant.

Il rentra d’autorité ses six boîtes à outils en me toisant d’un air méfiant.

  • Vous avez le cul dans la figure, ce matin, on dirait. Vous avez fait la java ou quoi?

Je me suis passé la main sur le visage encore ensommeillé.

  • Que vous reste-t-il à terminer ? coupais-je court.

Fernand se mit les mains sur les hanches.

  • Je parie que vous n’êtes même pas allé voir ce que j’ai fait hier ?

Il hocha la tête.

  • Eh bien, je vais reboucher la porte du souterrain que vous avez au fond de la cave !

Voyant ma perplexité, Fernand prit un air moqueur.

  • Vous ne saviez pas que vous avez un souterrain sous votre cave !

  • Quel souterrain ?

  • Venez.

Nous descendimes un palier. Maintenant, c’était un chantier où pendaient des câbles, encombré de tuyaux de plastique, violemment éclairé par des néons fraîchement installés.

  • Là, indiqua le menuisier de l’index.

Nous contournâmes des montagnes de cartons en équilibre instable pour nous rendre à l’autre bout de la cave dans un recoin caché du reste que, effectivement, je n’avais pas exploré à cause du manque de lumière mais peut-être aussi des rats. Fernand poussa une vieille porte basse et vermoulue qui fermait mal ; elle débouchait sur une sorte de tunnel qui s’enfonçait dans la terre.

  • Dieu sait où cela conduit, se demanda Fernand en promenant le rayon de la torche électrique dans la noirceur du trou.

  • En enfer…

  • ou au paradis ! répondit dit tac au tac Fernand.

Il fit une pause et reprit.

  • C’est sans doute un tunnel relié aux anciennes carrières de plâtre. Le sol ici en est truffé.

Je vais le reboucher. Il faut toujours refermer les trous. Nul ne sait ce qui peut en sortir.

Puis il se ravisa, et poursuivit sur un autre ton.

  • Pourriez-vous me rendre un service ? Je n’ai plus de vis à plâtre ; mon fournisseur exceptionnellement était en rupture de stock. La quincaillerie va bientôt ouvrir.

28.

Je ne me suis pas fait prier. En vérité, j’avais une idée derrière la tête que je voulais vérifier. Il me fallait trouver le sens de deux mots du rêve que la venue impromptue de Fernand m’avait fait oublier. Mon intuition me disait que ce rêve détenait la clef de l’énigme que je cherchais. Mes efforts pour m’en souvenir demeuraient vains. Je savais seulement que c’était deux consonnes étrangères. À peine suis-je sorti qu’un vacarme insolite a attiré mon attention. C’était un hélicoptère. Il était en position géostationnaire mais effectuait régulièrement des boucles dans le ciel pour revenir à sa position initiale. Il se trouvait juste au-dessus de la Cité des écrivains, à quelques centaines de mètres seulement de chez moi. Quelques instants plus tard retentirent les sirènes. Sur le boulevard, d’autres voitures de police déboulèrent à vive allure.

L’hélicoptère tournait toujours au-dessus du quartier mais volait plus bas. On pouvait distinguer les pilotes. Des voisins s’étaient accoudés aux fenêtres. « Qu’est-ce qui se passe? ! » demanda l’un. « Ils ont buté quelqu’un dans la cité ! » répondit l’autre.

Le bruit était assourdissant. L’hélico se déplaçait maintenant au-dessus du parc. Les rares personnes qui s’y trouvaient regardaient le ciel. Un autre ululement de sirènes déchira l’air. Instinctivement, je suis allé vers le grand mobile pour en inspecter les alentours. Je cherchais un indice. Entreprise dérisoire cinq ans après les faits. Mes pas me guidèrent ensuite dans la direction opposée, soit vers le triangle formé par trois marronniers près de la bibliothèque des enfants. C’était l’angle du parc le plus éloigné de la rue. Il formait avec la sculpture et le lieu où avait été retrouvé le corps une sorte de diagonale longue de 200 m environ. Yacine l’avait sans doute empruntée en cette nuit fatidique du 6 août.

J’ai refait le parcours à mon tour et ce, jusqu’au réduit à poubelles à ciel ouvert constitué de deux simples paravents de bois. J’étais en pilotage automatique, c’était le cas de le dire ! Je n’avais pas de certitudes mais de fortes convictions. Je savais que ce que je cherchais s’y trouvait. Mais quoi ? Je suis retourné scruter la pelouse autour de la sculpture. C’est là, caché par la pelouse, que je vis les deux mots apparus dans mon rêve. Ils étaient gravés sur un petit coffrage en plastique enfoncé dans la terre. Rain Bird. C’était le système d’arrosage. Je suis resté un moment agenouillé au-dessus comme si brusquement une vérité supérieure m’était révélée. C’est alors que précautionneusement j’entrepris d’ouvrir le couvercle de la boîte en plastique.

  • C’est ça que vous cherchez ? grommela une voix familière. Sous mon nez, se balançait un vieux sac de plastique rempli d’une matière blanche et farineuse.

Je me suis relevé en dévisageant le commissaire.

  • Je n’ai rien à voir avec ça !

Marleau, goguenard, alluma une cigarette éteinte.

  • Je sais.

Il fit une pause et sortit de sa poche une photo qu’il me tendit.

  • Vous le reconnaissez?

  • Driss ?

  • Ils se ressemblent, n’est-ce pas ! Il s’appelle Yazid Messaoui, s’appelait, devrais-je dire. C’est lui qui vient de se faire tuer à la Cité des écrivains. Il venait tout juste de sortir de prison. Cinq ans qu’il avait pris.

Il aspira une grande bouffée de nicotine.

  • C’était donc lui, ai-je ajouté, qui devait se trouver au rendez-vous le 7 août.

  • Bien vu ! Le système était bien rodé : un mec de sa bande s’était fait embaucher au service parcs et jardins et planquait la drogue ici.

Fox hocha la tête et pointa du menton le sac de pastilles blanches désagrégées.

  • Et c’est pour ça que Driss s’est fait buter ?

  • Disons qu’il s’est trouvé au mauvais moment au mauvais endroit. C’est con, non ?

  • Oui, c’est con.

  • C’était sans doute la première livraison du Septième Ciel sur notre territoire. Ça vient des labos américains. Yazid avait emprunté pour se la procurer. Comme il se méfiait de ses petits copains, il l’avait fait cacher ici la nuit précédant son arrestation.

  • Comment le savez-vous ?

  • C’est lui qui nous l’a dit à sa sortie de prison.

  • Et vous l’avez relâché sans protection ? m’indignais-je.

Un sourire sardonique se dessina sur ses lèvres.

  • Il ne l’avait pas demandé.

L’hélicoptère s’était éloigné. Les accords de la Sixième Symphonie de Beethoven résonnèrent. Marleau sortit son portable de sa poche.

  • Oui… répondit-il, excédé… Je serai là dans cinq minutes.

Il raccrocha, sourit puis se tourna vers moi.

  • Je ne devrais pas vous le dire mais je crois que cela vous fera plaisir : on a arrêté la petite frappe qui a tué Yazid. Il vient d’avouer. C’est lui aussi qui a buté Driss en pensant que c’était Yazid, j’en mettrais ma main à couper. Il appartient au gang qui contrôle le Septième Ciel.

Il expira la fumée par les narines.

  • La petite Maïa aussi ? demandai-je.

  • Elle, c’est le frère de celui que l’on vient de coffrer qui l’a tuée. Elle a eu le malheur de travailler pour la bande adverse.

  • Et Driss, que faisait-il ici cette nuit-là?

  • Sans doute un rendez-vous galant.

Il me regarda ironiquement.

  • Mais je n’ai pas encore retrouvé la fille qui lui avait donné ce rencart… Avec tous ces pseudos, on s’y perd un peu.

  • Vous l’avez déjà contactée, je suppose.

Marleau eut un sourire entendu.

  • Vous êtes moins bête que je le pensais. Mais je vous laisse ce plaisir sinon c’est quelqu’un d’autre qui en profitera.

  • Qui donc ?

Il sourit en catapultant d’une chiquenaude son mégot sur la pelouse.

  • Vous savez très bien qui.

29.

Fox posa la boîte de clous sur la table de la cuisine.

  • Ah ! j’ai cru que vous vous étiez fait arrêter par la police ! Vous avez entendu ce raffût ?!

  • Un règlement de comptes.

  • Ça ne m’étonne pas. Il n’y a que ça maintenant.

Le menuisier regarda sa montre.

  • Le vernis doit être sec.

Voyant ma mine interrogatrice, le menusisier me conduisit devant la bâche qui couvrait la façade derrière laquelle il se glissa en me demandant de le suivre.

  • Regardez. Vous aurez la plus belle volée d’escalier du quartier. Vos patients auront l’impression de monter à la cour du roi !

Je l’ai félicité et lui demandai si je pouvais l’emprunter. Ce dernier acquiesça volontiers. C’est vrai que la différence était patente avec l’ancien. Les marches, plus larges, étaient recouvertes de chêne.

Je suis entré dans mon bureau, illuminé par la lumière du soleil qui à cette heure pénétrait directement dans la pièce. Une ambiance calme et recueillie y régnait. J’avais l’impression de découvrir un lieu qui m’était étranger. Tout me semblait nouveau, la bibliothèque et même l’ordinateur qui était resté allumé. J’ai voulu l’éteindre mais j’aperçus de nouveaux messages dans la messagerie. J’y ai trouvé quatre demandes d’interview, trois requêtes de mon éditeur qui me suppliait de lui revendre le stock de livres, un message de mon fournisseur d’accès m’informant que mon nouveau portable était arrivé, et enfin un courriel de Lysandra qui me demandait de confirmer le rendez-vous du lendemain après-midi.

J’ai basculé dans mon fauteuil, les mains derrière la tête, puis j’ai regardé dehors. L’hélicoptère avait disparu. Un geai bleu s’était posé sur le bord de la fenêtre puis s’était envolé. Alors j’ai ressenti une intense fatigue et me suis assoupi.

33e jour

30.

Une odeur d’essence flottait dans la rue lorsque j’ai croisé Mme Bourgeoys. Tétanisée, elle regardait les carcasses fumantes et calcinées de six voitures stationnées. Une centaine de mètres plus bas, les portes écaillées du commissariat se refermaient derrière le maire et le commissaire.

  • Dans quel monde on vit, je vous le demande ! avait dit Henriette en se tournant vers moi.

  • Ça c’est passé quand ?

  • Ce matin vers 5 h. C’est ce que m’a dit monsieur le maire.

Elle hocha la tête puis continua.

  • On va sans doute nous faire accroire que c’est un accident ! Moi je pense plutôt que c’est un pied de nez de la bande de la Cité. Vous ne croyez pas ?

  • C’est probable.

  • C’est monsieur Lesueur qui va être content lorsqu’il reviendra de vacances !Deux de ses voitures ont brûlé, dit-elle.

Une dépanneuse manœuvrait pour retirer les voitures carbonisées.

  • Vous n’avez rien vu ? demanda-t-elle à un des riverains.

  • On a été réveillés en sursaut par le bruit des explosions, lui répondit un homme âgé, inquiet.

  • C’était impressionnant et, encore, la voirie a déjà retiré trois voitures, ajouta une voisine.

Malgré le soleil qui resplendissait en cette fin de mois de juillet, l’atmosphère était lourde, comme si la fatalité s’était abattue sur la commune. Pour changer de sujet, j’ai annoncé à Mme Bourgeoys que les travaux seraient bientôt terminés.

  • On dirait que vos soucis se règlent, dit-elle, mutine.

  • Qui vous a dit ça ?

  • Le commissaire tout à l’heure. Je lui ai tiré les vers du nez !

  • Vous êtes un fin limier. C’est vous qui auriez dû instruire cette affaire !

Elle rougit.

  • Vous vous moquez de moi !

  • Non. Je suis sérieux. D’ailleurs, vous aviez commencé à me parler de votre amie à propos des Mémoires du comte de Beaumont.

Perplexe, elle se massa le menton.

  • J’ai oublié ! Cela ne devait pas être très important. En tout cas, j’ai été contente d’avoir été votre assistante.

Puis, changeant de ton, elle ajouta :

    • Le commissaire avait une dent contre vous.

    • Je ne vous le fais pas dire ! Je me demande pourquoi.

    • Ça doit être par rapport à son fils.

    • Qu’est-ce qu’il a son fils?

    • Il est mort d’une overdose il y a cinq ans. Vous ne le saviez pas ?

    • Non.

    • Cela a défrayé la chronique. Il était tombé fou amoureux d’une fille du 16e arrondissement dont le père, un avocat très strict, avait refusé qu’il la voie. Comme il était plutôt fragile et qu’il avait quitté l’école et ne trouvait pas d’issue à sa situation, il a commencé à se droguer. Un jour, on lui a refilé un produit presque pur. Il est mort, l’aiguille dans le bras.

    • Son histoire est romantique ! Je croyais que cela n’existait plus.

    • Détrompez-vous !

Elle me regarda mi-méfiante, mi-moqueuse.

    • Vous n’auriez pas un petit côté donneur de leçons, vous ?

    • Si ! Je dois ressembler à cet avocat, c’est sans doute pour cette raison que Marleau m’a pris en grippe.

J’ai fouillé dans ma poche portefeuille.

    • Tenez, avant que j’oublie.

Et je lui ai tendu ma nouvelle carte sur laquelle étaient inscrits en caractères Times : Nathanaël Fox, enquêteur spécialisé.

Madame Bourgeoys me regarda, embarrassée.

– Mais Nathanaël, votre appellation, elle ne veut rien dire !

39e jour

31.

La pluie était tombée à la fin d’un long week-end orageux. Une pluie lente et longue scandée par des coups de tonnerre. Il avait plu des heures durant. C’était l’orage qui marquait le tournant de l’été ; l’orage qui faisait basculer la belle saison vers la fenaison, le blondissement, la récolte. J’étais rentré de la gare sous la pluie battante. Je venais de passer une dizaine de jours chez mon frère afin que Fernand mette la dernière main aux travaux.

La maison était méconnaissable.La porte qui permettait aux patients d’accéder au cabinet par une entrée séparée était installée et vernie, les murs étaient blanchis, la façade refaite et peinte comme neuve. Fernand avait bien travaillé. Le cabinet pouvait désormais recevoir des patients.

J’ai posé mon sac de voyage et ramassé le courrier. Une lettre de mon fils m’annonçait ses fiançailles. Des photos l’illustraient : on voyait les deux tourtereaux s’embrasser puis une autre, en gros plan, montrait la main gauche d’Anna Joe sertie d’une bague de diamants que je reconnus immédiatement. C’était celle qu’il avait offerte à Judith, héritée de mon propre père. La tradition se transmettait. Le courrier suivant, provenant d’Aix justement, le corroborait. Judith l’informait à ce propos. Elle disait de plus être bien installée et lui souhaitait bonne chance.

Je fis de même avec mon tout nouveau portable téléphonique que je n’avais pas voulu prendre afin de ne pas être dérangé. C’est alors que j’entendis une voix familière presque inaudible. C’était Béatrice, l’épouse de son ami. Elle était étrangement émue et lui annonçait d’une voix étranglée le décès brutal de Jim survenu le matin même.

J’ai pâli, me suis assis comme si je manquais de souffle, j’ai aspiré une grande goulée d’air et j’ai rappelé aussitôt sa veuve. La fille de Jim me répondit et me passa aussitôt sa mère. Béatrice m’expliqua que Jim avait été emporté par une crise cardiaque. Les obsèques auraient lieu le surlendemain.

J’ai raccroché. C’était comme si j’avais reçu un coup sur la tête. Je savais Jim malade mais n’avais jamais imaginé la gravité de son mal. Les images de Jim ressurgirent : les longues discussions autour d’un whisky, les invitations, les promenades, les repas…

40e jour

32.

Les obsèques furent très sobres, presque spartiates. La salle de cérémonie du Père-Lachaise était noire de monde. Je ne connaissais aucun des invités. « Ce sont des psychiatres, pour l’essentiel. Vous ne pouviez pas les connaître », précisa Béatrice en m’accueillant comme si elle avait deviné mon embarras. Malgré le deuil et les ans, elle avait conservé l’espièglerie de la jeunesse.

Après la cérémonie, il y eut une réception. Béatrice m’invita dans le salon et referma la porte. Elle fit une pause, se recueillit pour surmonter son émotion.

  • Le jour de sa mort, Jim venait de recevoir les exemplaires de son dernier ouvrage sur lequel, vous le saviez, il travaillait depuis un moment. Il vous en a dédicacé un exemplaire que voici.

Elle me présenta un livre in-quarto dont les caractères rouge bordeaux ressortaient sur fond blanc : Le manque et son double, psychopathologie des drogues d’aujourd’hui, Dr Jim Josuah. Avec une certaine solennité, j’ai ouvert la page de couverture.

À mon ami Nathanaël,

pour toutes ces discussions, cette modeste réflexion sur les états altérés de la conscience afin qu’il puisse, malgré les tribulations récentes, assumer pleinement sa condition de chercheur des mystères de l’âme sans trembler devant le sphinx. Ce doute, je te rassure, mon cher Nathanaël, est très humain. Je te souhaite bonne chance dans ta nouvelle carrière.

Très amicalement

Jim

Epilogue

Je suis venu une demi-heure avant au café. J’avais déposé la gerbe de lys sur la chaise à côté de moi et sirotais un expresso. C’était le signe de reconnaissance. Autour, des immeubles des années 60 côtoyaient ceux plus anciens en pleine réhabilitation, hérissés d’échafaudages. Ils formaient un canyon où se répercutait le bruit des voitures dont le flot ininterrompu dévalait telle une cascade la côte pentue. Le café était accroché à l’angle d’une rue bordée d’échoppes rescapées de l’âge baba cool. Devant, circulaient des femmes pressées traînant leurs caddies remplis de légumes ou des touristes en goguette, soucieux de repérer les marches où naquit jadis Edith Piaf. Ce quartier m’était familier. J’y avais habité, il y a longtemps. Comme d’autres quartiers populaires des grandes capitales. Mais aujourd’hui je ne le reconnaissais plus. Le village d’antan avec ses commerces juifs polonais avait disparu. Tout change en apparence.

J’ai allumé une cigarette, me suis raclé la gorge. Mon esprit divaguait, bercé par une sorte de rêverie mélancolique. Allait-elle me reconnaître sous ma nouvelle apparence ?

J’ai regardé le ciel et j’ai pensé que je parvenais enfin à mon but et que vous en seriez les témoins privilégiés. Il n’est jamais facile de remplir sa mission devant un public qui attend à la dérobée que vous vous manifestiez enfin.

  • Excusez-moi, je suis en retard…

J’ai cligné des yeux. Une grande rousse apparut à contre-jour. Lysandra arborait une robe soleil et tenait une canne-poussette dans une main. A califourchon, un petit blondinet de trois ans me fixait, soupçonneux. Elle souriait. Elle ne m’avait pas reconnu.

– La directrice de la crèche a tenu absolument à me parler avant les vacances.

Elle sourit et tendit une longue main fine.

    • Je m’appelle Lysiane dans la vraie vie. Lysandra était mon pseudo.

    • Je sais.

Je lui ai proposé de s’asseoir. Lysiane me mit à l’aise comme si elle avait deviné mon trouble.

    • On se connaît ? Votre visage me dit quelque chose.

    • Que vous dit-il ?

Elle éclata d’un rire cristallin et entendu.

    • Que l’on s’est déjà croisés, il y a un moment déjà. Avec vos lunettes de soleil, je ne vois pas très bien.

    • Qu’à cela ne tienne!

Je les ai retirées et l’ai fixée un long moment. Elle baissa les yeux, intimidée.

    • Vous vous attendiez, sans doute, à voir quelqu’un d’autre, n’est-ce pas?

J’ai souri puis j’ai écrasé la cigarette dans le cendrier.

    • Et vous également sans doute, répondit-elle.

Lysiane eut un sourire désabusé.

    • Rien ne me surprend désormais… monsieur Fox ?

Je ne pus retenir un rire.

    • Qui vous a dit mon vrai nom ?

    • C’était écrit sur votre adresse mail à moins que votre nom soit aussi un autre pseudo.!

J’ai secoué la tête.

    • Décidément je fais un bien piètre détective!

    • Mais un romancier intrigant. J’ai lu votre livre!

Elle hésita, perplexe.

    • Je n’ai pas compris l’épilogue. Quelle est donc l’identité de celui qui surgit à la fin en se faisant passer pour l’auteur?

J’ai souri.

    • J’ai voulu que chaque lecteur se fasse une opinion et lui attribue le nom qu’il voudra.

Elle hocha la tête, gloussa.

    • Je vois, ce qu’on appelait naguère : « une conclusion ouverte ».

Puis elle croisa les bras et me toisa.

    • Que voulez-vous savoir ?

Elle n’eut pas l’occasion de poursuivre car le serveur était venu prendre la commande. Nous commandâmes deux cafés et deux verres d’eau. Le petit garçon qu’elle avait assis dans la poussette me fixait en silence avec de grands yeux curieux.

    • Il est drôlement calme pour son âge. On dirait un petit bouddha !

    • Il sera gourou ou artiste !

    • Comment s’appelle-t-il ?

    • David.

J’ai souri.

    • Il porte le même prénom que mon fils.

    • Il n’y a pas de hasard, dit-elle.

Sur ces entrefaites, les deux cafés et les deux verres d’eau atterrirent sur la petite table ronde comme par miracle. Elle prit le verre d’eau et tenta de le faire boire à David qui l’écarta du revers de la main sans pleurer ni se départir de son regard bouddhique. Nous regardâmes l’enfant.

    • J’ai oublié à quel point les enfants peuvent avoir de l’aplomb. On dirait qu’ils ont tout compris.

    • C’est vrai, mais cela ne les empêche pas de faire des caprices.

J’ai croisé les bras.

    • Vous me permettez d’être direct avec vous.

    • Je n’ai plus rien à cacher désormais.

    • Quelle était votre relation avec Driss Yacine ?

Lysiane haussa les épaules.

    • Il a été mon amant. Un amour d’adolescence.

Elle prit une longue respiration.

    • Driss, j’en étais follement amoureuse. Il était très beau et le savait. Il me gardait après les cours. Mais c’était un prétexte. Comme nous ne voulions pas éveiller les soupçons, car mes parents étaient sourcilleux, je lui ai demandé de nous retrouver à Paris dans son studio. Puis il a séduit une autre fille, une grande de terminale.

Elle sourit.

    • J’étais jalouse. C’est à ce moment que j’ai commencé à écrire mon histoire. J’ai imaginé une affaire policière que j’écrivais sur le blog de la radio. C’était ma vengeance à moi. On ne se parlait presque plus en classe.

    • Il l’a lue ?

    • Oui. Cela l’a fait rigoler. Un soir, il m’a demandé de rester après le cours ; il m’a dit que l’intrigue était bien trouvée mais que c’était plein de fautes et qu’il m’aiderait à les corriger!

    • C’est ainsi que vous avez recommencé à le voir.

    • Au début, j’ai refusé.

    • A cause de la fille de terminale ?

    • Oui, il m’avait dit qu’il l’avait plaquée parce qu’elle était trop gourde mais j’ai su par la suite qu’elle avait déménage. En tout cas, je n’y ai vu que du feu. C’était la fin de l’année. Mes parents m’ont amenée en vacances avec eux au Portugal. Durant tout le mois de juillet, il ne cessait de m’envoyer des textos, tous plus enflammés les uns que les autres. Il me disait qu’il avait changé, qu’il pensait à moi tout le temps. Je me suis arrangée pour revenir plus tôt. Je suis arrivée la veille du meurtre.

Lysiane touilla son café. Je me suis rapproché.

    • C’est vous qui lui avez donné rendez-vous dans le parc, n’est-ce pas ?

Elle hésita un bon moment.

    • Oui. Je voulais le mettre à l’épreuve. « Si tu m’aimes vraiment, retrouve-moi cette nuit à deux heures dans le parc. »

    • Et vous, vous n’y étiez pas ?

Elle baissa la tête en rougissant puis la releva. Des larmes coulaient sur ses joues.

    • Non. Je voulais qu’il ressente au moins une fois ce que j’avais ressenti. C’était stupide, je le sais.

    • Quand avez-vous su qu’il était mort ?

    • Dès le lendemain. J’étais affolée.

Elle avala une gorgée de café et se pencha vers son fils qui la regardait en silence.

    • Je me suis dit que si j’avais été là, cela ne serait pas arrivé.

Je me suis calé dans ma chaise.

    • Dans quel état d’esprit était-il à ce moment-là ?

    • Difficile à dire, souffla Lysiane. Avec lui, on ne savait jamais. Un jour déprimé, un jour joyeux comme un pinson. Je crois même qu’il était un peu mytho. Il disait qu’il était menacé. On ne savait jamais s’il disait vrai. Ses cours s’en ressentaient. Il a fini par avoir un avertissement de l’Académie. Mais tout cela, je ne l’ai su qu’après.

    • Pourquoi n’avez-vous rien dit à la police ?

Eller haussa les épaules.

    • Je me sentais coupable. J’avais l’impression que c’était moi qui l’avais tué, doublement, en lui donnant ce rendez-vous puis en imaginant ce récit sur le net.

Elle s’arrêta.

    • J’étais très troublée. On aurait dit que j’avais provoqué le destin.

    • Et les inspecteurs chargés de l’enquête ne vous ont pas posé de questions non plus ?

    • Non.

    • Vous n’avez pas voulu apporter votre témoignage ?

La jeune femme fronça les sourcils.

    • Pour leur dire quoi ? Qu’on avait couché ensemble !

Elle marqua une pause.

    • J’ai mis du temps à m’en remettre. J’avais l’impression de vivre dans une autre dimension.

Elle baissa la tête et resta un certain temps prostrée. Elle planta son regard dans le mien.

  • Maintenant, je vous reconnais !

Elle avait prononcé ces mots avec précipitation comme sous l’effet d’une révélation. Le désarroi se lisait dans ses yeux. Elle se mordit les lèvres.

  • N’ayez pas peur, lui ai-je dit. Aujourd’hui, il ne vous arrivera rien.

La perplexité avait remplacé la terreur dans son regard en n’osant poser la seule question qui s’imposait : pourquoi?

  • Parce que vous m’avez dit l’essentiel.

Ses yeux se plissèrent encore davantage. Alors son corps se détendit. Elle regarda autour d’elle. Il n’y avait plus personne. Le vent avait chassé les gros cumulus et le petit David avait fini par se rendormir.

Catégories : Actualité

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