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Roman-feuilleton: RIN BIRD (9)

9.

  • Vous avez été drogué. Vous vous en doutiez, non ?

Jim avait mis son poing sous le menton et regardait Fox, goguenard. Celui-ci venait de lui raconter les circonstances qui avaient précédé ses hallucinations.

  • Voyant que vous n’y arriviez pas, la fille vous a donné une de ces drogues de synthèse qu’elle devait prendre elle-même en vous disant que c’était du Viagra !

Courbé dans son fauteuil de cuir, il avait posé ses bras sur ses cuisses.

  • Je me suis comporté comme un parfait crétin, admit enfin Fox.

Il jeta un regard de biais à son ami, un pâle sourire se dessinant sur ses lèvres.

  • … Mais, avec tout ce qui m’était tombé dessus dans la journée.

  • Vous aviez besoin, comment dire… de lâcher la pression ! ajouta Jim sur un ton ironique.

Les deux hommes étaient assis côte à côte dans le bureau, entouré d’une grande bibliothèque de chêne ; deux verres de scotch – de l’Aberlour quinze ans d’âge – trônaient sur une petite table basse. Jim avait tapoté le foyer de sa pipe dans le cendrier. Derrière lui, un monticule de livres menaçait de s’effondrer ; plus loin, le divan, couleur bordeaux.

– … J’aurais pu passer par des agences. Il y en a de toutes sortes. Sur internet, ça prolifère, mais je suis un impulsif. Je ne sais pas ce qui m’a pris.

    • Je ne vous demande pas de vous justifier, répondit Jim en aspirant une bouffée.

Un étrange klaxon retentit. Fox regarda par la grande fenêtre et il eut l’impression de voir la coque d’un grand transatlantique passer sur le fleuve. Le bruit régulier du moteur des bateaux-mouches remplaça progressivement le son des cornes de brume. Deux enfants couraient sur le pont d’un paquebot immaculé. Le ciel était transparent. Le vent avait baissé.

    • Et vous ne vous souvenez de rien ?

    • De rien ou presque. Son parfum à bon marché. L’herbe haute. Un intense bien-être. C’est à peine si je me souviens de son nom.

    • Et comment s’appelle cette créature ?

Nathanaël esquissa un sourire.

    • Maïa !

    • Ça ne s’invente pas ! gloussa-t-il. Et… comment vous sentez-vous maintenant ?

    • Je fais des efforts pour être présent. Je suis sans cesse tiré vers… l’imaginaire.

    • On l’est tous plus ou moins. Se concentrer demande un effort. Qu’est-ce que vous voyez ?

Fox s’agitait sur son fauteuil.

    • Eh bien, je suis sur un grand transatlantique noir et blanc. Il y a de la houle. Sur le pont, un couple parle dans une langue que je ne connais pas. Pourtant, les visages me sont familiers. Ils me font signe de ne pas trop m’éloigner. Je n’ai pas peur. Je me sens bien.

Jim sourit.

    • C’est parce que vous avez associé le klaxon du bateau-mouche à l’un de vos souvenirs d’enfance. Je vais quand même vous donner des tranquillisants.

    • Vous ne croyez plus aux vertus de la parole ?

Jim se leva.

– Mais il faut « pouvoir » parler. L’important consiste en premier lieu à calmer l’angoisse. C’est l’abus d’anxiolytiques qui est pernicieux. En attendant, lisez ça.

Il lui tendit une chemise cartonnée où se trouvait un tiré à part d’une conférence scientifique.

    • Ça alors ! Vous aussi ?

Mais Jim était tout occupé à farfouiller dans le tiroir de son bureau

À prendre seulement si vous vous sentez mal, dit-il en lui tendant une petite boîte de gélules.

Fox examina la petite boîte avant de l’empocher.

    • C’est grave, docteur ? dit-il d’un ton qui se voulait ironique.

    • Vous lirez cette communication. Mais il semblerait que cette drogue ait une nette propension à faire basculer les gens dans l’angoisse.

    • Et l’imaginaire, comme le LSD par exemple…

    • Oui, mais les effets finissent par s’estomper. On peut se sevrer. Mais dans ce cas, on reste accro, complètement absorbé et enfermé dans son imaginaire sans perspective de retour.

    • Une sorte de jeu vidéo qui durerait éternellement.

    • Mais là aussi l’écran est extérieur.

Jim se renfonça dans son fauteuil.

    • Vous avez probablement absorbé une dose très faible. Je n’ai pas d’inquiétude. Et puis vous avez un bon équilibre psychique.

    • Parfois j’en doute.

Jim reprit sa blague à tabac et bourra sa pipe.

  • Pourquoi ne prendriez-vous pas quelques jours de vacances ? C’est l’été après tout.

Nathanaël acquiesça du chef. Pourquoi n’y avait-il pas songé auparavant ? L’image de son frère émergea, lui qui le pressait depuis longtemps de venir le voir à la campagne.

Jim but une gorgée de whisky et tendit à son ami un cigare. Nathanaël fouilla dans sa poche pour trouver un briquet et ressortit la carte de visite du commissaire.

  • Au fait, vous ne devinerez jamais comment s’appelle ce policier ?

  • Marleau, Philippe Marleau !

  • Vous collectionnez les coïncidences !

Ils éclatèrent de rire et ils parlèrent de tout autre chose.

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