William Butler YEATS, Choix de poèmes (bilingue),
Présentation et traduction de l’anglais par Claude-Raphaël Samama, Editions Petra, Paris, 140p, 2018
Rares sont les poètes contemporains qui demeurent autant actuels, originaux et populaires. William Butler Yeats (1865-1939) est de ceux-là. Toutefois, sa légende liée à un destin personnel exceptionnel consacré par l’obtention d’un prix Nobel faisant écho à l’histoire moderne de l’Irlande, n’est pas sans contrepartie. Car elle risque sur le long terme d’occulter l’admirable qualité de sa poésie. Aussi, il faut savoir gré aux éditions Pétra et aux animateurs de sa collection « Voix d’ailleurs » de nous faire redécouvrir ce grand poète dans une édition bilingue d’un choix judicieux de poèmes – dont certains encore jamais transcrits – effectué par Claude-Raphaël Samama, qui les a traduits. Dans sa remarquable présentation, ce dernier s’emploie à interroger d’emblée « cette mystérieuse sympathie » dont le poète irlandais est l’objet. A quoi tient-elle ? Il y a certes, sa vie d’homme scandée par les déceptions amoureuses et les soubresauts de l’Histoire qui en font le chantre d’une Irlande devenue indépendante. Mais tomber dans le piège du bio-graphisme serait une grave erreur. De fait, sa poésie demeure d’une étonnante vivacité, autant par sa rythmique et sa fausse légèreté, que par la profondeur des thèmes qu’elle embrasse.
Poète de la « beauté rêvée », du classicisme antique, des questionnements existentiels, Yeats travaillera sans concession « la prose du monde », comme l’écrit justement son traducteur, pour la rendre immédiatement sensible au lecteur occasionnel, qu’il soit ou non anglophone. Que cela se retrouve dans la danse d’un enfant – « Danse enfant près du rivage ; /Pourquoi te soucier du vent… » – ou encore à propos d’une femme – « Si je me fais les cils noirs /les yeux plus brillants …», ou d’un écureuil apeuré dont il veut seulement flatter la tête, on voit le poète en recherche constante de l’innocence perdue. Qu’y a-t-il derrière les masques de l’amour – « Enlève ce masque, d’or étincelant /Où sont tes yeux d’émeraude… » ? Que trouve-t-on dans la patine des habitudes sinon cette « vérité nue » qui nous fait mal ou nous ravit ? Cette révélation est celle de notre humaine condition. C’est la raison pour laquelle Yeats nous touche tant. Il va droit au but et fait souvent mouche, car son vers ne s’embarrasse pas d’attirail rhétorique ou de posture lyrique qui feraient obstacle à l’émotion. D’où son apparente simplicité.
Une simplicité presque liquide qu’exprime à l’extrême la versatilité de sa prosodie, véritable casse-tête pour le traducteur français. Comment en effet rendre ses répétitions, ses contrastes, ses ruptures inattendues qui donnent d’ailleurs tout son poids à son poème, c’est-à-dire sa gravité ? Comment traduire, par exemple, ne serait-ce que le titre si bref de l’un des ses plus fameux poèmes : « Not second Troy ». Une traduction littérale donnerait : « Pas de seconde Troie » trop abrupte à une oreille française, habituée à la scansion alexandrine. C’est sans doute la raison pour laquelle le transcripteur a choisi à cet égard : « Que Troie ne recommence » : un vers aux sonorités raciniennes. On pourrait multiplier les exemples où le lecteur est sans cesse sollicité par des registres divers qui peuvent faire penser à un Cocteau, un Jean Tardieu, ou parfois un Maeterlink pour l’idée ou encore, Prévert ou Reverdy… Cette versatilité, Claude-Raphaël Samama, lui-même poète, a choisi de l’inscrire dans une pure musicalité française, avec cette élégante oscillation allant du classique au moderne.
Il ne reste qu’à inviter le lecteur à se procurer ce petit livre pour redécouvrir un poète majeur, qui se lit comme une invitation au voyage, dans les embruns de la mer du nord ou les collines ventées d’uniques paysages, inspiratrices de toutes les pensées.