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Le Congo au cœur : l’échec de la troisième voie

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Fulvio Caccia
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Il faut se dépêcher d’aller voir Soundtrack to a Coup d’État, du réalisateur belge Johan Grimonprez. Ce documentaire original jette une lumière nouvelle sur les coulisses d’un épisode tragique bien connu des indépendances : l’assassinat de Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo. Pour l’éclairer, l’auteur nous invite à suivre un chemin de traverse et pas n’importe lequel, celui du jazz et qui plus est, servi par les plus grands : Louis Amstrong, Dizzie Gillepsie, Nina Simone, Archie Shepp… Mais que viennent donc faire ces monstres sacrés, dans cette galère ? Je vous le donne en mille. Détourner l’attention. La musique adoucit les mœurs, dit-on, celle de ces jazzmen sert plutôt aux Américains de soft power pour masquer l’un des plus importants coups d’État de l’après-guerre.

Indépendances africaines

Nous sommes en 1960. Le mouvement des indépendances africaines bat son plein. Le Congo belge est en train d’acquérir la sienne. Ce pays immense, quatre fois la superficie de la France dont le sous-sol regorge de minerais, est la pièce maîtresse du continent africain. S’il glisse dans le camp des pays non-alignés en pleine composition et plus tard, suppose-t-on, vers celui du bloc communiste, c’est toute l’Afrique qu’il risque d’entraîner à sa suite. Alors adieu, veau, vache, cochons, et surtout adieu au précieux uranium de la province du Katanga dont les États-Unis ont tant besoin pour maintenir sa domination nucléaire. Alors commencent les grandes manœuvres pour déstabiliser le régime congolais et mettre hors jeu Patrice Lumumba dont le discours révolutionnaire inquiète les anciennes puissances coloniales. C’est ce théâtre d’ombres que nous raconte ce film à bien des égards remarquable. Si le jazz se trouve sur le feu de la rampe (c’est le département d’État américain qui organise le voyage d’Amstrong et sa troupe)  ; c’est pour mieux masquer les coulisses des rapports de force où l’Occident risque de perdre sa mainmise sur la géopolitique de l’après-guerre. Car, à qui ces 16 pays, ces 16 nations nouvellement indépendants donneront leurs gages ? Que feront-ils ? Que feront-elles ?

Le film commence de manière surprenante comme un grand clip musical ; les protagonistes entrent en piste à coup de cymbales ou de trompettes. Outre les « ambassadeurs de la musique » et les champions de la lutte contre la ségrégation aux USA comme Malcom X, Abbey Lincoln et Max Roach, on trouve les acteurs politiques de l’époque : les leaders non alignés (Nheru, Nasser, Tito ) ; les puissances occidentales (Baudoin, le jeune roi belge, Dwight Eienhower, président des États-Unis) ; les institutions internationales (Dag Hammarskjöld ,secrétaire général de l’ONU) ; les pays communistes (Nikita Khrouchtchev, Fidel Castro…) et enfin les nouveaux pays africains indépendants (Kwame Nkrumah, président du Ghana, Sekou Toure, président de la Guinée… et l’incroyable Andrée Blouin, cette Franco-Ghanéenne, brillante autant qu’élégante dont on découvre le rôle déterminant d’éminence grise auprès de Lumumba). On entendra également l’écrivain In Koli Jean Bofane commenter Congo Inc. le livre qu’il a consacré à cette période.

Le Jazz comme Soft Power

Durant les quelques 150 minutes du film, les pièces de ce puzzle mondial se mettent peu à peu en place et le panorama général de cette époque-charnière se révèle. Et que voit-on surgir sinon la « chronique d’une mort annoncée » (pour paraphraser le roman de Garcia Marques) et dans sa foulée, celui d’un immense gâchis international dont on n’a pas cessé de payer les pots cassés. Pourtant l’occasion était belle alors de donner une impulsion nouvelle au cours de l’histoire du monde. Tous les voyants étaient au vert : les nouveaux régimes issus des indépendances ne s’étaient pas encore enkystés dans la répression et la corruption généralisée ; l’URSS par le biais de Nikita Khrouchtchev, semblait prête à lâcher du lest. Mais c’était sans compter sur le ressentiment des puissances occidentales qui transformeront ce rêve en cauchemar.
Aujourd’hui force est de constater que ce coup d’État ignoble fut une victoire à la Pyrrhus. Ce film comme les divers ouvrages historiques parus récemment nous font mesurer l’ampleur de cet échec. L’influence de l’Europe se marginalise tandis que se répandent sur son sol même ainsi qu’en Afrique, le terrorisme, le djihadisme, la montée des extrémismes.

La France a sa responsabilité dans cet échec, tant s’en faut. La Françafrique de Jacques Foccart a certes permis à l’Hexagone de prolonger son influence. Le plus respecté de ses dirigeants africains, Léopold Sédar Senghor, n’a pas hésité à embastiller son ex-ami et Premier ministre d’alors Mamadou Dia , trop enclin à vouloir suivre la ligne socialiste de Lumumba. Mais le retour du boomerang n’en sera que plus violent.

La troisième voie

La question demeure : les démocraties libérales et anciennes puissances coloniales, avaient-elles raison de se méfier du géant russe qui deux ans plus tôt avait écrasé la rébellion hongroise ? Fallait-il croire Nikita Khrouchtchev lors de son mémorable discours à l’ONU qui déclarait « son amour aux Américains »  et son appui inconditionnel à Lumumba (qui ne se déclarait pas communiste, mais africain) ? Quelle était la possibilité des pays non alignés de dégager enfin cette fameuse troisième voie rendue impraticable alors par la tension entre le duopole américano-soviétique et qui aujourd’hui, ô coïncidence, cherche à se recomposer ? Ces questions demeurent sans réponses enterrés avec Patrice Lumumba.

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