« C’est l’alarme rouge. Gregorio m’a présenté Axelle, rousse alléchante au corps enserré dans une robe de velours noir dont le décolleté carré montrait la naissante rotondité des seins. »
Ainsi commence, « la vita assoluta », la vie absolue, le troisième roman de Giancarlo Calciolari, érudit de la psychanalyse, à la fois peintre, sculpteur, journaliste (et collaborateur de Combats), éditeur et… chef de cuisine. Dans le roman de formation, le directeur de la revue « Transfinito », a sans doute trouvé le genre privilégié pour satisfaire son insatiable appétit. Car ce n’est pas le surgissement d’Axelle, son corps sublime, qui met en branle la narration, « condition nécessaire mais non suffisante », prévient Saverio, 40 ans, maître-pâtissier et narrateur de l’histoire, mais bien le fait que cette créature de rêve qui enseigne dans un lycée et poursuit un doctorat sur les origines de la langue française, soit une intellectuelle.
Les femmes d’esprit surtout si elles sont belles, attirent irrésistiblement les hommes et incendient leurs fantasmes. Saverio ne fera pas exception. S’il se défile la première fois, c’est pour mieux succomber à ce « plaisir anticipé » auquel le convie la belle Axelle. Mais le narrateur se doute bien de la dimension proprement imaginaire de cette aventure qui va d’abord le confronter à lui-même. Comment ? En l’arrachant aux cercles concentriques forgés de « ses propres mains » et notamment « du corps de la mère » nourricière dont il avoue ne s’être jamais dépris. Tel est bien l’enjeu. Pas étonnant que cet ex-junkie, issu d’une famille de nouveaux riches italiens, expatrié à Paris, soit devenu pâtissier !
Car le métier de bouche dont il vit n’est pas très éloigné des plaisirs de l’oralité du langage dont la rousse parisienne est l’allégorie, le chiffre. Succombera-t-il à cette fête très parisienne des sens où sacré et profane, haut et bas, sexe et esprit, se croisent pour mieux combler le manque, la faim incompressible ? Faut-il se surprendre si l’on mange souvent dans ce roman, surtout après l’orgasme ? Certains lecteurs y verront un clin d’œil au film « la Grande Bouffe » mais c’est plutôt du côté du Divin marquis qu’il conviendrait de pencher. Erotisme et philosophie alternent. Le mérite de l’auteur, c’est d’avoir réinscrit la radicalité du message sadien au cœur de notre époque désenchantée.
Et qui mieux qu’un ex-junkie pouvait incarner cette quête absolue de notre modernité. « Je veux dire à Axelle que j’ai arrêté de me droguer parce que les coordonnées culturelles de mon geste avaient changées. Je vieillissais dans un monde peuplé d’éternels enfants. Je demeurais un des rares drogués attaché à la recherche de l’illumination et non de la fête artificielle qui coulaient dans ma veines ». Or c’est bien la quête de l’illumination, le Satori que traverse le roman, polarise les deux personnages dans leur recherche anxieuse du plaisir de la vérité ou de la vérité du plaisir. Ce qui donne à ce roman, pourtant écrit en italien, une facture très française, un brin libertine avec ces personnages inquiets, ces interrogations, ces atmosphères claires obscures, « existentialistes ». Surgit ainsi par touches légères un Paris méconnu dont le cœur vibrant, ce XVe arrondissement de glorieuse mémoire, est peuplé d’émigrés italiens, cuisiniers ou artistes tels Gregorio le galeriste, Achille le peintre délirant, Massimo, le restaurateur enfin Bruno, alter ego et associé du narrateur. Autant d’avatars de cette quête passionnante.
Le huis clos des deux amants devient l’épicentre d’un lent et méthodique dérèglement de tous les sens où les protagonistes s’adonnent au plaisir pour mieux parvenir à la vérité, leur vérité. Calciolari travaillera donc avec un très beau talent de narrateur à épuiser les multiples et proliférants masques de la réalité. Pour ce faire, il utilise un contre-feux de choix : le rêve. C’est précisément avec ce matériau dont Shakespeare disait qu’il était la matière même de la fiction qu’il s’emploiera à détricoter le réel en le restituant au désir. L’auteur n’a pas son pareil pour composer cette atmosphère de sensualité , d’osmose où, par delà le sexe , tout peut se dire ou presque et précisément ce qui manque. Sans l’air d’y toucher, Calciolari nous aura ainsi donné un sensible roman d’apprentissage avec, de surcroît, un personnage étonnant, unique sans doute dans les annales de la littérature contemporaine : l’écrivain cuisinier.
Avec ce troisième roman, Giancarlo Calciolari s’affirme comme une des voix singulières de la scène littéraire transalpine. Encore faut-il que l’Italie berlusconanisée s’en aperçoive.
p.s. Vous pouvez vous procurer copie de ce roman sur le site transfinito.eu
Giancarlo Calciolari