
Très vite, Mary Melfi se distingue. Le surréalisme de son univers poétique, scandé par un phrasé abrupt, peuplé d’images surprenantes et lapidaires, reflète les inégalités d’une société imbue par le progrès. Au fil des ans, elle publiera une douzaine de livres dont deux romans et une pièce de théâtre. Son dernier opus « Welcome to Hard Times » ne déroge pas à la règle. Le titre même n’est pas anodin. Il renvoie expressément à deux romans éponymes. Le premier, celui d’E.L. Doctorow, deviendra un film en 1967 (avec Henry Fonda dans le rôle principal) ; le second, signé par Dickens, relate une grève dévastatrice dans les filatures de Manchester au XIXe siècle. Ce n’est pas un hasard si ce combat contre le Mal et l’exploitation est aussi le leitmotiv de l’œuvre de Melfi. Partagés en huit sections, les poèmes de ce récent recueil décrivent un monde devenu plus cruel et plus absurde encore à cause de la paupérisation induite par l’hypercapitalisme. ‘ Being poor is synonymous with living in the desert/with machine guns for company/Nothing Much to eat/Nothing much to do /.
Tout le style de Melfi est là. Réduite à l’os. Colère, révolte, ironie courent entre les lignes. Devant les peurs induites par les prétendus excès du multiculturalisme, elle affirme : « Some say such divisions are destructive. Some say my country is being destroyed-/divide a proton and see what happens!/I say: Don’t worry. Mais cette poésie volontiers elliptique tient également à régler ses comptes avec Dieu himself et son crucifié de fils ! Dans son poème : The Man from Beyond Time ». Superman est le Jésus-Christ du 21e siècle… Superman performs miracles, so does Jesus Christ/except Superman decides whom he helps out/but anyone can pray to Jesus Christ/and get Him to come round and work his magic/so Jesus Christ is the real superhero in this saga/if you ask me/. Dans la superposition de ces phrases de bric et de broc se dégage une fausse naïveté qui donne tout son aplomb à son écriture et toute son originalité.

Melfi réussit le tour de force de rendre émouvante, drôle et passionnante une vie apparemment banale sans jamais tomber dans le mélo. Il faut croire que les filles sont plus habiles à cet exercice que les garçons. L’attestent aujourd’hui le grand nombre d’initiatives artistiques conduites sur ce même thème en France et sans doute ailleurs en Europe. Mary Melfi aura été à ce propos une pionnière. Et quelle pionnière ! Mordante, ironique, capable d’autodérision, elle intègre autant les recettes de cuisine de sa mère nombreuses dans que ces souvenirs ! Car le passage de relais se fait aussi par le ventre au double sens du terme. Faut-il s’étonner que ce livre se termine par les recettes des biscuits ?
Pour conclure, faisons ici amende honorable. Méfiant du misérabilisme lié à l’immigration et des ses accents mélodramatiques, je me suis trompé en classant ce livre dans cette catégorie. J’ai toujours pensé que ce genre d’histoire ne pouvait être raconté que si elle était sanctionnée soit par l’exil — à savoir par l’impossibilité du retour — ; soit par la tragédie. Voilà pourquoi j’ai opté d’emblée pour sa dramatisation romanesque dont l’actualité nous fournit, hélas, les faits divers sanglants. Le roman d’éducation a été pour moi la voie royale pour raconter cette histoire occultée. La tragédie de Polytechnique, survenue il y a plus de trente ans à Montréal, a été un révélateur. J’ai voulu la raconter à ma manière dans un roman « La coïncidence » publié auprès du même éditeur québécois. Ce n’est pas un hasard. Mon dernier roman retrace l’impact que ce drame a eu sur la seconde génération. Mais sera-t-il seulement audible ? Dans ces temps difficiles, il devient capital de restituer le fil de l’histoire, la grande et la petite comme l’a fait avec opiniâtreté Mary Melfi.


