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La journée européenne des langues ou la Pluralité des mondes

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Fulvio Caccia
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Le 26 septembre prochain ce sera la journée  européenne des langues. Plusieurs manifestations sont prévues à cette fin. Nous n’avons pas attendu cette journée particulière pour célébrer la singularité des langues et des cultures auquel correspond le pluralisme politique. Il est opportun de rappeler ce combat-là. Je republie pour l’occasion l’article intitulé « Résistance, diversité, liberté » qui parût à la suite de la rencontre culturelle consacrée aux « Poèmes et chants des résistances européennes » le 25 août 2007 par l’Observatoire de la diversité culturelle.

C’est en se révoltant contre la collaboration, qu’une poignée d’hommes et de femmes est parvenue à remettre la liberté à la place qui est la sienne : au centre de la vie publique. L’Europe, notre Europe d’aujourd’hui dont on dit qu’elle est en panne, en est directement issue. Sans la conviction et le sacrifice des ces milliers de résistants qui, de l’Atlantique à l’Oural, ont dit non à la fascination de l’unique, de l’homogène, du pareil, l’Europe serait encore piégée par ces vieux démons et ces velléités impériales. La liberté retrouvée, dépouillée non sans mal des tentations totalitaires, a permis de refonder un projet européen inédit dans l’histoire de l’humanité. Le moteur en a été la refondation de la vie démocratique dont la liberté a été le garant et le pluralisme politique, l’expression.

Aujourd’hui alors que la démocratie continue malgré tout à progresser dans le monde, que les moyens pour l’exprimer n’ont jamais été aussi variés et accessibles, force est de constater que sa pratique effective ne cesse de se réduire comme une peau de chagrin. Ce n’est pas un régime autoritaire qui la menace, encore moins les fondamentalismes comme on se plaît à le dire, mais bien cette anémie, cette dévitalisation propres aux organismes qui ont perdu leur substance, leur raison d’être. La liberté qui a fondé la vie démocratique, objet depuis longtemps de toutes les manipulations, a cessé d’être la valeur de l’homme pour devenir uniquement celle du marché. Et le pluralisme politique, au lieu d’exprimer la diversité des opinions, donne à voir l’atomisation de l’espace politique, la tour de Babel des ambitions politiques personnelles. Le masque tombe. C’est désormais à visage découvert, sans précautions oratoires autre que celle de leur propre force- la raison du plus fort- que s’affrontent entre elles les fratries pour le pouvoir.

ENTROPIE

Cette entropie de la démocratie tient à plusieurs causes. Mais la principale réside dans l’épuisement de sa mission dans le registre qui lui a été jusqu’ici prioritairement assigné : faire fonctionner de grands ensembles nationaux homogènes et autant que faire se peut monolinguistiques. L’état-nation, on le sait, s’est imposé en Europe -surtout en France- en extirpant les différences, les particularismes, trop rattachés à l’Ancien régime et dont la recomposition aurait mis en cause son autorité. Aujourd’hui l’état-nation est mis en crise à son tour, d’une part par une économie dérégulée qui a rompu ses attaches nationales pour conquérir le monde et de l’autre par de grands ensembles supranationaux qui cherchent encore leurs légitimités politiques. Et c’est justement à ce moment que la diversité revient, comme un retour du refoulé, par la bande c’est à dire par la culture.

L’enjeu n’est plus désormais de façonner un nouvel individualisme qui s’élèverait au-dessus des particularismes, vieille chimère occidentale, par la seule puissance de la raison souveraine mais bien retrouver le sens et l’émotion d’une identité plurielle qui n’a jamais cessé d’être celle de l’homme. Rude tâche de nos jours alors que les modalités politiques de cette reconnaissance télescopent les atavismes anciens, exacerbés par l’économie mondialisée et sa technologie de niche.

Le débat

Pour sortir de cet antagonisme primaire où les forces du mal s’opposent aux forces du bien, l’ange de la démocratie au Satan obscurantiste, il est opportun de réintroduire le débat sur la culture. « Toute discussion sur la culture, rappelle Hannah Arendt, doit de quelque manière prendre comme point d’appui le phénomène de l’art ». Pourquoi ? Parce que l’art confronte celui qui le regarde à la mémoire, sa propre mémoire individuelle autant que collective appelé tradition. Il y a deux manières d’envisager cette dernière . S’y conformer scrupuleusement comme l’a fait l’humanité des siècles durant. Ou rompre avec elle en lui tournant le dos. C’est ce qu’a commencé à faire l’Occident à partir du XVIe siècle. Cette rupture a imposé à l’Europe et au reste du monde la modernité et du coup, l’homme s’est libéré des servitudes anciennes et des croyances ancestrales pour atteindre des territoires nouveaux . Or après l’ivresse de la nouveauté, voilà que ceux-ci à leur tour sont devenus des dogmes inamovibles.

L’art peut introduire du jeu, de la discussion au sein de ces représentations collectives anciennes et nouvelles car les critères pour apprécier ce qu’on appelle « le beau » sont relatifs. En effet rien de plus subjectif que les qualités de « beauté » qui varient selon les époques. Pour être véritablement en mesure de se faire une opinion sur un objet qualifié d’artistique, il est nécessaire de s’oublier, de se mettre à distance de sa condition et des soucis quotidiens. C’est de cette imprégnation, que surgiront les images, les impressions à partir desquelles s’élaborera un jugement construit et argumenté. Cette attitude de réceptivité totale, d’abstraction est l’expression même de la liberté. Or on ne peut véritablement en jouir, rappelle Kant que si les besoins vitaux sont comblés.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui même dans nos sociétés de surabondance, nous agissons encore comme si la disette menaçait. La préoccupation de nos contemporains reste pour l’essentiel réduite à soi-même et aux moyens d’acquérir plus d’objets à consommer. L’idéologie utilitariste triomphe de plus belle illustrant ce tropisme bien humain qui consiste à généraliser en toutes choses, les règles et procédures qui ont réussi dans un domaine particulier. Or la politique comme l’art et la culture qui se partagent l’espace public, requièrent au premier chef « des jugements et des décisions » dixit encore Arendt. Car, dans un cas comme dans l’autre ; il ne s’agit pas d’exprimer un savoir et une vérité mais de permettre à tout un chacun de formuler des opinions argumentées pour déterminer le meilleur choix tant sur l’action à entreprendre pour le bien commun que sur les objets ou les œuvres dignes d’être exposées, publiées. Telle est précisément la fonction du politique : redevenir ce lieu de délibération des véritables enjeux de société pour l’ensemble des citoyens et non pour quelques spécialistes.

La liberté

Afin de permettre l’expression de cette diversité d’arguments et de connaissances, il importe de réinscrire la liberté au centre de la vie culturelle comme l’avaient fait les résistants, naguère, pour la vie politique. Pour ce faire, la liberté doit redevenir une valeur, une prise de risque et non plus un dogme comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui et dont seule une élite, terrorisée par la perte de ses privilèges, aurait l’usufruit de l’interprétation. Et pour cause, puisqu’elle maîtrise les codes et la rhétorique politique.

La culture peut être le commun dénominateur qui permet à tout un chacun de retrouver le sens de l’action et de l’engagement. Mais encore faut-il qu’elle échappe aux velléités identitaires auquel on veut la réduire. La liberté plus que jamais demeure essentielle à cet égard. Elle rend possible la capacité d’observer, de critiquer, de débattre, de créer, d’imaginer et donc de risquer une parole autre.

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