La poésie que nous propose Danielle Corre dans son dernier recueil est peuplée d’ombres. Elles sont autant de signes nous indiquant le sens de la marche. Mais de quelles ombres s’agit-il ? Celles en surface qui « s’allongent/derrière nous/cherchant/sur notre passage/à accrocher/nos pas ? ». Ou celles verticales et intérieures « à faire dégorger les chagrins/sécher les vieilles histoires ? » Les deux, évidemment. C’est ainsi que la marche de Danielle Corre arpente les paysages intimes et les libère de leur gravité terrestre, c’est à dire de leur « gravidé » : « La douleur au ventre des mères/est portée loin/active et folle/quand les enfants tardent/à éclore/ ».
Mais cette libération dont le cri fut longtemps tu, convoque d’autres paysages : « cabane du jardin/… grandi de mille récits/ ; mémoire perdue, dénoué, déliée. Autant de génies du lieu « parenthèse d’harmonie/frêle sursis dont on lève la toile » pour retrouver le mystère de la mémoire en allée. Mais pour y parvenir, il y a des chemins, des pistes, des sentiers, « des descentes qu’il faut savoir dévaler « dans l’approbation des arbres » avant que le poème ne s’émiette brusquement dans le jardin du jadis.
Alors il faudra aller plus loin encore, traverser l’océan et reprendre la route sur des territoires neufs qu’une langue familière, résonnante d’échos ataviques, dévoile. Elle est là dans le rire des enfants, le « discours d’un fleuve » géant, le « tressage des lettres » et des eaux « … Ainsi peut s’accomplir le retour vers la « pauvre sphère » pour « laisser naître/en son humilité/la parole de temps neuf/ ».
La poésie de Danielle Corre a du cœur et du corps : elle se tient debout, solide sur deux jambes. Cela vaut mieux lorsqu’on s’attaque aux raccourcis abrupts du langage contemporain, trop souvent raviné par la tentation du jeu. L’art pour l’art a mis ses habits postmodernes. Corre revient à l’essentiel, à l’achevé, à l’accompli, à la cadence. Elle est de celles et ceux qui remettent le poème sur le « bon chemin » : celui du bonheur fou de son foudroiement. Qui dit mieux !
Danielle Corre
Ces ombres qui nous peuplent
avec des gravures de l’auteur
et un épigraphe de Richard Rognet
La feuille de thé 2023. 20€
96 pages