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Guerre en Ukraine : nationalistes contre patriotes

Fulvio Caccia

Au delà du terrible bilan humain, la guerre en Ukraine met à l’épreuve le rapport que nous entretenons avec le langage et la manière dont par lui, nous nommons la réalité. L’agression perpétrée par le régime russe contre la démocratie ukrainienne n’est pas seulement la réaction d’un ex-Empire à l’égard d’une ancienne colonie qui veut affirmer son indépendance mais c’est surtout une guerre entre patriotes nationalistes.

On a tendance à les confondre comme le veulent les faire accroire les partis d’extrême droite en France : ceux de Marine Le Pen, Florian Phillipot ou d’Eric Zemmour. En réalité ils sont différents. Un vrai patriote est celui qui aime sa patrie dans sa entièreté sans distinction et qui est prêt à sacrifier sa vie pour le défendre. Un nationaliste, lui, aime sa patrie sous conditions. Il barguigne son « amour » pour la nation et voudrait la modeler à son image et selon ce qu’il considère être son idéal. Par exemple, pour les nationalistes, la France aujourd’hui serait tellement aimable si elle était débarrassée de ses migrants venus, horreur, les « remplacer » comme de ses arabes (qui ne sont pas comme nous) et de ses gitans ( ces voleurs de poules) . On pourrait aussi y ajouter les autres minorités : les juifs par exemple, et, puisqu’on y est, les Corses, (bon débarras !), les Catalans, les Basques, et les Bretons alors ? A ce train, vous vous imaginez, il ne resterait pas grand monde pour agiter le drapeau car « l’amour » que les nationalistes affirment porter à son égard est plutôt de la haine. Le nationaliste convaincu en réalité déteste son pays et il est prêt, s’il pousse sa déraison jusqu’au bout, à le détruire pour y arriver !

Cette définition, je la tiens de l’écrivain George Orwell. Il savait de quoi il parlait, lui qui avait combattu les nationaliste de Franco durant la guerre d’Espagne et dont il a tiré de cette expérience son bouleversant «  Hommage à la Catalogne ». Quelle leçons pouvons nous tirer de son engagement ? C’est la question qui nous est posé aujourd’hui ? Car la guerre commence lorsque les mots ne veulent plus rien dire, quand ils sont détournés de leurs sens originel.

Un mot peut avoir plusieurs acceptions . On dit qu’il est alors polysémique. C’est d’ailleurs ce qui inspire le poète qui restitue la diversité originelle du mot au sens propre et figuré. Le nationaliste, le doctrinaire de tout acabit figent le langage pour ne lui conserver qu’ un seul sens : le sien. Notre monde, hier encore « bi-polaire » devenu, comme on dit « multipolaire » depuis la chute du Mur de Berlin, s’est prêté comme jamais à la manipulation de la langue. Mais de quelles « polarités » s’agit-il ?

Essayons de comprendre comment la langue se polarise et comment certains mots peuvent être utilisés pour nier la réalité et comme arme de destruction massive. Ainsi pour se justifier de taper sur le patriote, le nationaliste l’accuse de s’être trompé sur la nature de l’amour qu’il doit porter à sa vraie patrie. Il importe donc de les ramener dans le bon chemin quitte à leur infliger « une petite correction » au passage. Bref c’est une affaire domestique. C’est exactement ce que dit Poutine qui prétend que les Ukrainiens sont des Russes égarés qu’il convient de ramener dans le droit chemin. Les monothéismes institutionalisés ont en effet ouvert la voie par leur dogmatisme.

Circulez il n’y a rien à voir. C’est ce que dit en général le mari jaloux aux voisins de pallier, inquiétés par les cris de l’épouse, accusée de l’avoir trompé. L’analogie ici avec la violence faite aux femmes à l’intérieur de la famille n’est pas fortuite ; elle illustre bien la symétrie du mécanisme du pouvoir  : l’affirmation brutale de la volonté du plus fort. Pour la « justifier  », rien de tel  que de dénoncer alors les mœurs dépravés du récalcitrant. Car dans le fond on l’aime, c’est bien pourquoi le châtie bien. Non ?  (La littérature russe est plus que prolixe à cet égard). C’est d’ailleurs le nationaliste  qui agit de lui même mais la  volonté divine. Le nationaliste est le soldat de la civilisation chrétienne.

A la fin du siècle dernier Slobodan Milosevic brandissait le même étendard pour justifier son grande Serbie. Chacun sait que le message du Christ est sans ambiguïté pour la tolérance et l’amour de l’autre. Le fait est qu’en Europe, hier comme aujourd’hui, sa figure a été instrumentalisé pour bâtir le modèle de l’état nation, nous en dit beaucoup sur les manipulation de la langue en Occident . Or il est plus que temps de restituer au mot « nation » sa liberté originelle et sa modernité en l’arrachant de l’État qui l’oriente et la contraint. Le débat sur l’état-nation et le nationalisme qu’il secrète est ancien. Il n’est pas le lieu d’y revenir. Le patriote authentique aujourd’hui combat sur deux fronts. Le premier est celui des nationalistes hargneux qui veulent le contraindre à accepter leur conception de la nation et qui l’accusent d’être un mondialiste comme hier on accusait les juifs d’être cosmopolites. Le second est mondial, il montre bien qu’aucun état ne peut justifier son agression contre un autre état et encore moins contre les minorités qui les composent . L’alternative au nationaliste, nostalgique de la grandeur de l’état-nation c’est le patriote défenseur de l’état-culture qui plus que jamais est requis aujourd’hui.

A bon entendeur, salut

Fulvio Caccia

Je vous renvoie à la lecture de mon essai « Diversité culturelle :  vers l’état-culture »

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