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La damnation d’Amandine

Amandine est un prénom français qui vient du latin amandus : « celle qui est à aimer » et « celle qui doit être aimée ». Amandine qui est aussi le prénom donné au premier « bébé éprouvette » de nationalité française, est également… une pâtisserie ! Voilà réunis de manière cocasse et incongrue tous les ingrédients pour une tendre et mélancolique anamnèse normande emmenée tambour battant par Mathias Lair dans son dernier roman. Car l’Amandine en question n’est pas une tartelette moelleuse mais une cousine, névrosée, avinée et déprimée qui pose derechef à son narrateur de cousin la seule question qui vaille : « pourquoi suis-je privée de vie ? »  Pour tenter de lui remonter le moral et le cours de sa dépression, Raphaël se lance vaillamment dans l’histoire de sa propre famille : peut-être y trouvera-t-il, caché dans les replis de la mémoire, le signifié qui coince et condamne la famille à la damnation !

Dès lors se pose une question incontournable : Amandine serait-elle la madeleine du docteur Mathias Lair ? La question mérite d’être posée lorsqu’on sait que l’impétrant, sous son autre nom, est psychanalyste, auteur d’une petite douzaine de livres en la matière. Alors que l’on pensait entrer dans l’enfer des Atrides, nous voilà plongés devant la vitrine… d’une pâtisserie ! Le choc est brutal. Soudain le livre dont le titre paraphrasait la célèbre injonction gidienne, « Famille, je vous hais », bifurque du côté de chez… Proust ! Remarquez, ce n’est pas plus mal. Le cousin analyste nous donne ainsi son livre le plus personnel autant par l’alacrité de ses propos que par son style versatile et fluide. Sans l’air d’y toucher, Lair — pardonnez ce facile jeu de mots mais je soupçonne l’auteur d’avoir à dessein choisi ce pseudonyme  ! — nous mène gentiment en bateau : son bateau familial. Mais est-il lui même convaincu de nous mener à bon port. Rien n’est moins sûr. C’est ce qui rend d’ailleurs cette fausse vraie confession tout en érudite espièglerie, attachante. Car le doute est ici le moteur de l’histoire que l’auteur assume d’emblée. « … L’oncle Robert tombant de son échelle un verre à la main, son fils Frédéric en carambole sur sa moto, ma tante Jacqueline… chantant sa douleur une allumette à la main… le fier Hidalgo et sa rombière déformée par de multiples maternités. Autant de personnages défilant parfois sous mes paupières closes au temps de l’endormissement, mais transformés, côtoyant des inconnus, des anonymes et je m’étonne de ma capacité d’inventer tant de visages jamais rencontrés… Au fond, étions-nous la chair de la chair de ses étrangers ? » That is the question ! En tirant les fils des générations (au sens propre et figuré) qui remontent jusqu’au Second Empire, l’auteur débusque ces vilains petits secrets de famille qui font de nos familles ce « nœud de vipères » où l’on distille les plus puissants des venins : le ressentiment. Mais là, surprise, il y a « un trou dans la lignée » ! Le cousin ne peut donc être aussi mordu que sa cousine par le serpent de la fatalité familiale : un étranger,-mais lequel ?- « a changé de trottoir » et s’est introduit dans la généalogie. Le narrateur peut dès lors accepter de se « libérer de la prison » que constitue toute « histoire familiale aussi belle et avantageuse » soit-elle.

Bien ! Mais alors que faire de ce récit amorcé chez Amandine devant la table de jardin couverte de cannettes de bière ? « Voilà je me trouvais dans l’incapacité de confondre réel et réalité établie, d’où peut-être mon goût de ce que j’appelais la vérité, mais aussi les pierres et les arbres qui, eux, ne mentent pas ; d’où mon goût pour cette simple plage du Bois-en-Ré, dernière terre ouvrant sur l’océan du grand ouest ».  « La Pythie du lieu » l’appelle et l’invite à retrouver le lieu des origines. C’est alors que le récit trouve sa résolution et se transforme en voyage initiatique vers le paradis perdu de l’enfance et de l’amour enfin délivré du roman familial. Car que peut-on contempler ainsi à l’extrémité de la terre au moment où notre parcours de notre vie s’achève ? Je vous le donne en mille : l’éternité retrouvée ! Celle,que nous le murmurait déjà Rimbaud, le génial adolescent où « le soleil est en allée avec la mer ». Ainsi Amandine pour enfin accomplir la destinée contenue dans l’étymologie de son nom : celle qui est à aimer.

« Qu’en penses-tu, Amandine ? »

 

Mathias Lair
Famille & damnation
Roman
Atelier du Grand Tétras
95 pages
15€ 

 

La damnation d’Amandine

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