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La ligne gothique, réception critique

Il est temps de faire connaître ce que l’on a dit de mes livres.  je commence par mon premier roman qui inaugure la trilogie.

« En lisant La ligne gothique, le lecteur lit de fait sa propre histoire ».

« …Dans la ligne gothique, l’illusion et la réalité se chevauchent continuellement. Le grand intérêt de ce livre est de placer le lecteur dans une position tout à fait particulière : jamais en surplomb, il est toujours impliqué. En fait, le lecteur ne lit pas seulement l’histoire qui nous est racontée mais lit aussi sa propre histoire. Ainsi d’un chapitre, le lecteur est amené à écrire sans trop s’en rendre compte un chapitre intermédiaire. C’est le signe des grandes écritures, des grands récits. Dans La lettre Volée d’Edgar Poe, ce n’est pas un hasard si j’en dis un mot, car il s’agit aussi  dans La ligne gothique de la lettre comme missive et de la lettre comme support du signifiant : le lecteur est partie prenante du récit dans la mesure où il s’identifie à tour de rôle à chacun des personnages et inscrit entre eux sa place dérobée.

Il en va de même pour ce récit où les personnages se substituent; les temporalités changent continuellement. On ne sait jamais si le passé advient comme présent où si le présent n’est pas déjà passé. Quant au secret autour duquel gravite ce roman, je dirai simplement qu’on ne le trouve pas si ce n’est que le lecteur s’aperçoit inopinément être à la recherche de son propre secret. Car ce qui est trace d’écriture ne fait que donner des traces de ce qui s’écrit constamment. C’est dans ce mouvement que l’on peut sans doute ressaisir la figure de résistance et de son double sens. La résistance est à la fois ce qui fait opposition à l’envahisseur mais aussi ce qui résiste à la découverte de soi.

On entrevoit dès lors mieux la possible signification de cette ligne gothique qui renvoie métaphoriquement à la ligne de séparation, de division à l’intérieur de soi. Quand on termine cette histoire, ou du moins quand on croit qu’elle se termine, il s’opère un renversement totalement inattendu qui relance du coup le suspense tout en rendant très difficile au lecteur de se déprendre de son rôle.

Si j’avais à résumer d’un mot ce que j’ai fortement ressenti à la lecture de ce récit, je dirais que je me suis trouvé un peu, pardonnez cette immodestie, dans la position de Freud qui lisait l’écrivain Schnitzler avec ce sentiment d’étrangeté d’avoir un double qui exprimait par la littérature ce que lui a essayé d’écrire de façon abstraite et théorique.

Enfin en conclusion,  je dirai que cet itinéraire en écriture est comparable à bien des égards à celui d’une analyse où ce qui paraît imaginaire devient réel. L’auteur a su parfaitement le faire dans une écriture dont j’admire toute la pureté.

René Major, psychanalyste, Paris.

(Extrait de la présentation, le 29 septembre 2004, Centre culturel canadien, Paris)

Sculpture gothique


Le poète Fulvio Caccia signe La Ligne gothique, un premier roman téméraire mais réussi.

« Il se passe toujours des choses curieuses entre deux lignes« , dit un vieillard à Jonathan Hunt, le personnage principal de La Ligne gothique. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y en a des mystères entre les lignes de ce premier roman. Peut-être est-ce les habitudes de poète de Fulvio Caccia qui confèrent au livre cette densité mystérieuse, cette écriture précise qui cultive pourtant un certain flou.

On entre dans ce roman un peu comme on entre dans Le Château de Kafka: avec une impression d’étrangeté. Le réalisme de Caccia impose ses propres conventions de lecture, au risque de perdre certains lecteurs. Les faits réels chevauchent une réalité distordue; le narrateur nous prend par la main pour nous faire traverser des sentiers connus, mais ne craint pas de nous livrer à nous-même au beau milieu de la circulation d’une ville étrangère. Il se joue de nous et de lui, manipulant les directions que nous empruntons, comme il s’abandonne à ses mensonges au point d’y croire suffisamment pour voyager avec ses personnages jusqu’au fond des choses.

En quête de vérités et à la recherche de sa propre identité, Jonathan Hunt entraîne le lecteur dans un voyage aux multiples rebondissements où il ne fait que se découvrir à lui-même. L’histoire de La Ligne gothique (un manuscrit autant qu’un concept) et la recherche d’un ami disparu depuis 10 ans, qui sert de toile de fond, ne sont qu’un prétexte à la quête d’identité du personnage. Qu’un prétexte aussi pour tisser un univers romanesque fascinant.

« À peine un semblant de personnage était-il esquissé qu’un autre lui succédait avec un luxe de détails alimentaires et géographiques. L’action se réduisait à la portion congrue, dévorée par un cyclone onomastique dont l’auteur omniscient usait et abusait« , peut-on lire à la page 96. Il s’agit d’une critique formulée par Hunt au sujet d’un manuscrit en cours de publication. Peut-on y lire une autocritique? Ce serait trop facile, car l’architecture du roman est audacieuse et complexe. Et ce livre dans le livre, comme cette sorte de mise en abyme des personnages, suivent une logique singulière qui est tout sauf prévisible. Une fois encore: fascinant.

Stéphane Despatie

Hebdomadaire Voir

7 octobre 2004

La Ligne gothique
de Fulvio Caccia
Éd. Triptyque
2004, 153 p.

« Tout se tient et le livre nous tient. Irrémédiablement »

Quand j’ai commencé ce livre, j’avais plusieurs idées en tête après avoir fouiné le long de cette Ligne gothique dont je n’avais jamais entendu parler auparavant. L’Italie du Nord, la Seconde guerre mondiale, un bataillon canadien, une remontée dans le temps, un disparu… Bref! Tout cela était « hors piste », le titre

était déjà un traquenard, si j’ose dire! Mais je ne le savais pas. Ce que j’attendais, en revanche, avec la plus haute curiosité, c’était le Labyrinthe, sans savoir encore que j’en avais déjà franchi le seuil en lisant le titre! …Ce qui est magnifique, c’est que bien qu’avertie, je me suis fait prendre. En me débattant, certes, mais avec bonheur, il faut le dire!

Déjà trop tard, le piège est refermé, la magie de l’art du récit opère à plein. La Ligne Gothique n’est pas horizontale, mais hélicoïdale, dans un mouvement implacable de vis d’Archimède. Ce n’est pas le mystère que l’on va percer, c’est la convention romanesque, donc cette frêle limite qui sépare celui qui écrit de celui qui lit. La tête commence à tourner, mais on s’accroche encore, on lutte.
Comme le narrateur. Alors, mort ou vivant, ce Dimitri? En guerre ou en paix, ce pays dans lequel on veut encore à tout prix reconnaître l’ex Yougoslavie? Le « drame » – au sens le plus théâtral du terme – nous prend à la gorge. On fait une ultime tentative d’ordonnancement. On remonte le fil des pages. Quelque chose nous aurait-il échappé? Mais un labyrinthe ne se remonte que si l’on a pris la précaution d’y dérouler sa petite pelote de laine, hélas on constate qu’elle est tout emmêlée! Pas de chance. Les fils d’Ariane sont en fait coupés depuis la première page, mais on ne l’admettra qu’à la dernière ! Les identités se dérobent, les identifications s’évanouissent, le réalisme de la fiction s’écroule, la Ligne Gothique devient cette Shadow Line imprimée dans un territoire de la quête devenu la quête elle-même.

Chaque scène d’amour nous enfonce davantage dans la chair poétique du récit. Le masque passe à la mascarade, la parade vire à la parodie, le carnaval glisse insensiblement vers le carnage et les miroirs du je devient jeux de miroir. Dans la déroute des sens, le lecteur exulte un instant « ça y est, j’ai trouvé, Dimitri, c’est moi! » Oui. Et sa soeur est Ariane. Tout se tient et le livre nous tient. Irrémédiablement. Car les derniers mots tombent comme une sentence. Tuer Ariane, c’est savoir que le Labyrinthe est vraiment sans fin.

Barbara  Fournier, journaliste,  Lausanne.

Rédactrice en chef
Revue Polyrama, Ecole Polytechnique de Lausanne

La ligne gothique

Fulvio Caccia, Éditions Triptyque, Montréal, 2004

dimanche 10 octobre 2004, par Calciolari
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©e-litterature.net


Dans La ligne gothique se promène Jonathan Hunt, qui a quitté sa place d’infographiste au ministère des Communications par compression budgétaire. La vie pourrait traîner d’un boulot à l’autre, mais il accepte l’invitation à un colloque où il est question de la ligne gothique et du destin de l’ami Dimitri, disparu après la guerre. Tout commence à basculer, la mémoire fait défaut et les femmes brouillent la piste de l’histoire d’une ligne nette et claire, et aussi de celle de l’Histoire écrite avec la majuscule.

Ce premier roman du poète Fulvio Caccia, qui vit et travaille à Paris, après avoir vécu longtemps à Montréal, est un formidable millefeuille ou bien, pour le dire avec Deleuze et Guattari, c’est un milleplateaux, un palimpseste de la vie.

La ligne gothique se lit comme une fable du troisième millénaire, ou le protagoniste cherche le fil de la mémoire, et peut-être seulement une femme, Ariane, pourrait-elle démêler la quête, qui autrefois était celle de l’absolu.

Mais, Ariane, parfois, est en manque, et donc son témoignage reste suspect. Elle est prête à aller jusqu’au bout, et pas toute seule. « Et toi, le lecteur, à te prendre à témoins ».

Chaque fois, c’est impossible de se tenir dans le niveau de lecture de l’histoire du roman. Bien que le niveau de la fable soit prêt pour devenir un film très intéressant. Dans la pluralité de niveaux de lecture réside la puissance de l’écriture de Fulvio Caccia. Ce « et toi lecteur » évoque le baudelairien « toi, lecteur, mon semblable ». C’est-à-dire que, presque à chaque page, le lecteur est sollicité par le questionnement de l’auteur, et alors il ne reste qu’à traverser la stratification du roman.

Déjà un personnage, celui du professeur Valente, notable du petit pays de frontière, pose la question : « Mais d’abord, qu’est ce que la ligne gothique ? ». Dans le roman, la ligne gothique est déjà un livre qui drôlement change d’auteur. Et quelques grains de vérité sont dits de bouche à oreille, aucun personnage n’étant exclu.

« La ligne gothique va au-delà de la géographie. Elle ne sépare pas seulement le nord et le sud : elle partage ce qui advient et ce qui va advenir. » De la ligne gothique surgit la faille entre le barbare et le citoyen. Aussi, « Il y a ceux qui franchissent la ligne et ceux qui se contentent de la frôler, de rester en deçà ».

La question de la ligne est posée. Et puisque, comme on dit, le reste est littérature, nous sommes convoqués sur la bonne voie. Celle qu’arpente Léonard de Vinci, l’unique à poser une objection à la thèse d’Euclide, qui construit la ligne comme une série de points, et la surface comme une série de lignes…

Peut-être que la ligne est le rêve du pouvoir, pour fonder l’exclusion de l’autre. Et la géométrie comme science de vie serait à côté des pouvoirs établis.

Voilà, le millefeuille a des niveaux très abstraits, outre ceux bien plus concrets. Ainsi la voie littéraire de Fulvio Caccia doit beaucoup plus à Dante Alighieri qu’à Hubert Aquin, bien que ce dernier ait offert à l’auteur des matériaux pour une autre lecture, centrée sur la politique et la mémoire, par exemple avec son roman Trou de mémoire. La voie de Dante est celle pour arriver à la rencontre avec l’absolu, elle nous laisse une fresque de l’enfer, du purgatoire et du paradis de son ère, qui pourrait toujours être la nôtre. Ainsi, les femmes du roman, de Lucia à Ariane, jalonnent l’itinéraire, et pas seulement lui. Mais Ariane n’est pas Béatrice, qui tire vers le haut, ni elle ne s’inscrit dans les anti-Béatrice, comme l’ange bleu, qui tire vers le bas. Pour l’instant, elle nous fait le dessin d’un lieu incertain, qui ne trouve plus un paradigme exact dans les lieux de Dante.

Qui est-il, le protagoniste, Jonathan Hunt ? Un éternel adolescent qui bredouille dès qu’il y a plus de trois personnes, qui, autrefois, balbutie ? Parfois, il se dédouble. Peut-être doit-il dire ce que tout le monde sait, mais dont personne ne parle. A-t-il perdu la mémoire, comme il dit ? Qui est-il, l’homme pour qui sa conscience est soumise au bon vouloir d’une volonté qui lui dicte ses paroles ? L’homme qui délègue ses paroles à une autre volonté n’est-il pas dans la vie parallèle, qui court sans jamais rejoindre la vraie vie ?

Peut-être n’y a-t-il plus de ligne ! C’est-à-dire qu’il n’y a plus de lignée, de généalogie, et donc de prédestination. En fait, c’est pouvoir dire l’expression : « La ligne est de partout et de nulle part, elle est de toute éternité, traversant les forêts, les montagnes, divisant les familles, les dispersant aux quatre coins de la planète, rasant les villes, en érigeant d’autres dans le désert, se glissant dans le mouvement même de mes paroles, les coupant par le milieu. Elle demeure de tout temps avec ses acteurs, ses actes de bravoure, ses tragédies… » Ceci est une formulation faible du « noble mensonge du tyran ». La ligne du fratricide, entre Caïn et Abel, est le cauchemar qui vient de la lecture de Jérusalem filtrée par Athènes. La ligne procèderait de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, qui fait semblant d’être l’arbre de la vie. Tromperie extrême ! Chaque vie est authentique, au-delà du bien et du mal. Un aspect particulier posé par la ligne gothique est celui du partage entre la vie authentique et la fausse vie ; autour de laquelle rode beaucoup la république des lettres. Le roman de Fulvio Caccia semble indiquer que cela est une fausse question.

Lorsque Fulvio Caccia touche ces points de la question de vie, il met en évidence la figure de l’ouroboros, le serpent qui se fait cercle en se mordant la queue : « Ceci n’est qu’une historie ancienne éternellement recommencée. » Et c’est pour cela que Jonathan Hunt a l’impression « de se trouver dans un mauvais film », du côté de la prédestination négative, minoritaire. La généalogie d’un dieu mineur et de son savoir : « Cette histoire dont je connais déjà les détails ». Alors, si « nous sommes dans un monde d’illusions » ça serait parce que nous tous sommes des esclaves dans la caverne platonicienne ? Il y a des personnages, comme Zoran, qui d’abord sont des amis et puis se révèlent des bourreaux. « Que sait-on des gens que nous côtoyons au quotidien ? » Sont-ils tous des agents doubles ? Tous des infiltrés, si bien qu’il n’y aura plus de vie sans filtre. Peut-être aussi que Ramontel, le lieu où se déroule l’histoire, est le paradigme de « la ville du village » que depuis Mac Luhan on appelle « global » : « Cette ville que je croyais connaître m’échappe plus que jamais, comme si ses habitants obéissaient à des lois autres que celles qui règlent les relations des hommes entre eux ». Et Jonathan Hunt est le paradigme de l’habitant de cette ville contemporaine : « Moi non plus je n’échappe pas à cette force centrifuge qui me retient sans raison… ». Il est aussi l’homme pour qui « Une volonté antérieure à la sienne s’était déposée en lui ». Alors, cette ville est le tombeau de la raison et de la volonté, elle est la nécropole où l’humanité se fige dans un calme éternel ou dans son autre visage, celui de la guerre éternelle, les deux aspects « involontaires ». D’ailleurs, « Aucun signe de guerre n’était visible » et « Les hostilités couvent toujours ». L’impasse de Jonathan Hunt est peut-être celle de chercher un mythe fondateur pour sa vie dans celle de l’ami Dimitri ? Et si l’ami brille de la lumière du plus mythique encore commandant de la résistance, Ulysse, n’est-ce pas la guerre qui est supposée apporter une signification à la vie, signification niée par le village planétaire ?

« Mais où croyez-vous être ? ». Dans un roman ? Dans l’artifice qui est plus vrai que la vérité matérielle ? Oui, La ligne gothique de Fulvio Caccia laisse planer le doute sur la réalité du quotidien : elle semble un roman, une fiction. La réalité, peut-être, « se trouve en équilibre entre ciel et terre, sur la ligne gothique »… Peut-être que La ligne gothique est un roman limbe qui va laisser, non sans paradoxe, une trace dans l’avenir.

Giancarlo Calciolari

Exigence  littérature

http://www.e-litterature.net/publier2/spip/spip.php?page=article5&id_article=21

Roman de l’exil exil du roman

Ching  Selao

Spirale 2005

http://www.erudit.org/culture/spirale1048177/spirale1059198/18727ac.pdf

La ligne gothique de Fulvio Caccia ou l’Europe palimpseste vue par un canadien d’origine italienne

Matić Ljiljana

http://scindeks.nb.rs/article.aspx?artid=0374-07300732769M

La ligne gothique, réception critique

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