Machiavel écrivit son célèbre traité pour le Prince dont il était l’obligé. Il est bon de rappeler que la fonction des lettrés a toujours été de conforter le pouvoir dont ils dépendaient afin que celui-ci apparaisse légitime non seulement auprès de leur peuple mais aussi auprès de leurs pairs ( liste des clercs) . Comment ? En expliquant, arguments à l’appui pourquoi les riches et les puissants ont raison d’être riches et puissants. Les clercs, la caste des prêtres, (futurs spins doctors) agissent par leurs paroles et leurs écrits en transformant la conviction privée de leurs maîtres en opinion publique. C’était la thèse de la médiologie de Régis Debray.
Ainsi les futurs intellectuels font-ils passer l’intérêt personnel de quelques « happy few » pour de l’intérêt général. Tel fut et demeurent le rôle des clercs tout au long de l’histoire : observer et soutenir les détenteurs du pouvoir jusqu’à la rupture lorsque celui-ci décline. La trahison des clercs en faveur d’un nouveau pouvoir est souvent induite par un changement technologique qui conduit au pouvoir une nouvelle classe.
Même s’il dénonce la duplicité américaine et les erreurs d’appréciations géopolitiques de ses autorités, l’universitaire Jeffrey Sachs dont un ami m’a envoyé la video, se conforme parfaitement au rôle traditionnel des élites. « La raison du plus fort est toujours la meilleure » , disait Lafontaine.
Pour les détenteurs du pouvoir, la liberté, l’indépendance, l’égalité, paraissent bien futiles. « Qui sont ces originaux qui osent affirmer leurs droits pour une société plus juste et plus libre ? N’ont-ils, pas compris, les pauvres, « qu’ils n’ont pas les cartes en main ». (Car, sous-entendu, c’est nous qui l’avons !) Trump en a fait l’éclatante démonstration vendredi dernier dans le bureau ovale de la Maison Blanche face au président Zelinski.
Car pour la puissants , l’Histoire c’est eux qui la font. Leurs spins doctors auront eu à cœur de leur préparer le terrain en décrétant que la raison est de leur côté. Et pourtant cette même histoire nous enseigne que c’est précisément ceux qui disent non , « les hommes révoltés », chers à Albert Camus qui, malgré l’air du temps, se rebellent contre les pouvoirs établis. Et refusent de servir de boucs émissaires. Pourquoi ? parce que tout simplement, ils sont innocents !
Cette longue chaîne de révoltés est à l’origine de nos valeurs fondamentales, socle de notre état de droit. Mais ne soyons pas dupes. L’État de droit a aussi servi d’alibi à l’Occident pour impose sa domination. La conquête coloniale a instrumentalisé ses principes pour « la bonne cause ». Et la Cause en est la duplicité inhérente à l’universalisme du Logos, à la Raison raisonnante, propre à toute volonté de pouvoir qui trouve dans le langage la justification de ses actes. Telle est la puissance de la nomination, de la langue
C’est aussi pourquoi la langue de tous se doit d’être mise sous tension par le langage de chacun. le principe qui instruit cette valeur s’appelle la liberté d’expression. Aujourd’hui, par un paradoxe propre à nos sociétés numériques, c’est précisément l’inverse qui se produit. La démultiplication exponentielle de la parole individuelle aboutit à noyer le poisson : il n’y a plus de langue commune pour désigner le vrai, le bon, bref l’intérêt général. Inversion des valeurs, confusion des sentiments qui donne aux puissant un avantage décisif car cette situation invalide en retour la portée de la critique et donc du travail intellectuel. Voilà pourquoi les démocraties en viennent à adhérer au narratif des plus riches et se transforment en oligarchie sacrifiant leurs principes aux lois du marché. L’universalisme est ainsi battu en brèche puisqu’il aurait servi à masquer les intérêts particuliers. Un argument supplémentaire à ceux qui en ont souffert et qui favorise le ressentiment des anciennes colonies qui tentées par les dictatures russes et chinoises.
La tentation est alors grande de jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Nombre d’intellectuels aujourd’hui, viennent désormais nous expliquer que les droits de l’homme ne pèsent pas lourds face aux impératifs géopolitiques ! Quelle découverte ! Comme si 2000 ans d’histoire ne nous l’avaient pas appris. Mais c’est là où justement il faut faire preuve de courage intellectuel en distinguant ce qui appartient à la défense des droits fondamentaux des minorités à la géopolitique des puissants. ce que sont plus des intellectuels comme Emmanuel Todd ou Giorgio Agamben.
Lors de la conférence de Munich en 1936, Churchill avait eu ses mots : « Vous aviez à choisir entre la guerre et le déshonneur, vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ! » A bon entendeur…