Lu avec un retard certain (mieux vaut tard que jamais !), cette référence du polar français. Multiprimé, impeccablement réédité par son éditeur historique, sous l’étiquette » Moby Dick », ce roman inaugural de la fameuse collection, le « Poulpe » s’inscrit avec ses codes dans une tradition bien française : le polar érudit. Basho et ses haïkus servent à Jean- Bernard Pouy, son instigateur, de cailloux blancs pour relancer uneintrigue, découpée à la tronçonneuse. Ce qui nous intéresse ici surtout ce sont les personnages magnifiquement décrits tels la jeune Cécile, criblée de taches de rousseur que le soleil aurait semées sur sa peau à travers un tamis. Une petite bizarrerie cependant, le héros Gabriel, encore dans la petite trentaine, parle et agit comme s’il avait 60 ans. Car il a une éthique, l’animal ! Il défend l’intérêt général comme jadis Robin des bois défendait la veuve et l’orphelin. Côté moralité. R.A.S. Et s’il accepte de faire l’amour à la petite Cécile, 18 ans, a) c’est qu’elle est majeure et b) consente (c’est elle qui se glisse dans son lit) . Mais attention, il devient très méchant lorsqu’il s’agit d’arracher le masque aux auteurs d’un meurtre camouflé en suicide au sein d’une famille de la haute bourgeoisie dieppoise, catho en diable au point de financer les gangsters de l’ultra droite.
Le décor est bien planté. Dieppe en arrière-plan, son port, ses quartiers bourges superbement dépeint dont Pouy. En bon écrivain de la gauche radicale, l’auteur qui est d’ailleurs directeur de la collection, s’amuse à en faire un carton à coup de fusil-mitrailleur. Aujourd’hui au moment où l’extrême droite ripolinée est aux portes du pouvoir, ce polar nous arrache un sourire de nostalgie. Ce premier opus de la série « Le poulpe » donne le tempo à coup de marteau, mais aussi à coups de pinceau. Car Pouy est un grand peintre naturaliste.