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Dits et non-dits du poème

« Dits de la pierre est un essai d’épopée poétique, imaginé à partir de statues-menhirs, aux dessins anthropomorphiques et non christianisés, conservées au musée Fenaille de Rodez, Aveyron. »
Bernard Fournier nous propose un voyage dans le temps ; un retour essentiel et lapidaire au double sens du terme.  Ce retour est une pierre.  Elle se dresse, abrupte, dans le champ de la mémoire inviolée. Ce parcours est scandé en six étapes : du choix de la pierre au lieu qui l’accueille en passant par la pierre levée, puis gravée et qui enfin parle : mère, mémoire, menhir. Que nous dit-elle donc par-delà les signes dans sa geste, son mouvement, langue d’avant la langue, d’avant les signes ? C’est à cette épopée des premiers matins du monde à laquelle nous sommes conviés. Vertige de commencements où tout est dit et non-dits dans la respiration qui ahane, l’effort, les cris qui scandent le mouvement de l’un puis de tous. Mais d’abord il faut reconnaître la pierre « inouïe/couchée/solitaire et qui rêve… D’où vient-elle ? D’une comète/d’un volcan/peut-être née du centre/de la terre/nourrie par l’humus/formée de magma. Appartient-elle aux dieux qui exultent en elle ? Quels sont ses pouvoirs ? « Quels homme, le premier a touche cette pierre/a tremblé devant elle/a frémi/Il faudra ensuite la lever/comme l’homme de marbre/avant que Phidias ne la dégage/contre la peur/contre sa peur/Contre les loups et les rapaces/contre les vents et les gels/contre la folie du soleil/contre la pluie et le déluge/… pour aider ses rêver.Voilà qu’en la dressant/des étoiles dessinent un ciel, une galaxie l’entoure et la précise/collier de feux sombres et muets/Pour indiquer qu’ici demeure une tribu/
   La connexion avec le ciel infini est établie enfin. La pierre levée, désencastrée du non-dit qui en tenait lieu, de la tiédeur de la terre enchevêtrée, du désordre immémorial a trouvé sa place son lieu-dit, dans son dit-lieu. Elle peut désormais faire signe à l’immensité ténébreuse du silence qui fourmille d’éclats lumineux au-dessus d’elle.
L’homme et sa tribu peut alors commencer à dialoguer avec l’infini qui n’est pas encore l’infini, mais ce jadis rempli de formes, de fulgurations, de foudres et de songes qui réclament déjà des signes pour apaiser leurs colères, puis, plus tard exigera des sacrifices. Maintenant dressée, la pierre se pare de signes. Elle rêve ainsi de toutes sortes d’auspices, de présages d’augures, de rites. Car elle parle dans son opacité minérale, dans ses veinures de quartz : « chaque grain de sa paroi rugueuse/parle/Et c’est à ne plus s’entendre/tant d’histoire, tant de légendes/tant d’hommes et de femmes. C’est alors qu’elle devient/mère aux hanches larges/mémoire/aïeule.
   C’est le sang de la naissance. Ainsi se clôt cette épopée néolithique.
La langue de Fournier rappelle celle de Guillevic. Le vers se fend comme la pierre par le milieu, attend sa scansion dans le dénivelé qui le fera peut-être tomber  dans l’inadevenu originel, dans l’eau et de la terre mêlées. Érosion. Terraqué. Le moment saisi ici est inaugural : c’est là où les choses et les signes entreprennent leur dialogue pour inventer une langue encore indicible.
Moment rare de légèreté juste avant que la langue bascule vers sa propre légende, devienne mythe. Pierre, totem des polythéismes sur laquelle on sacrifie les victimes devenues sacrées, intouchées, intouchables ; pierre des monothéismes (la pierre humaine sur laquelle je bâtirai mon église) Pierre noire de l’Islam. Pierre lapidaire qui surgit, stèle dans le film « 2001, Odyssée de l’espace » pour marquer le passage du seuil devenu désormais tablette portative, peut d’éclat chiffre absolu de notre hypermodernité devenu artefact et simulacre. Pierre de rosette de notre Babel intérieur sur la terre comme au ciel.

Bernard Fournier  recevait  en 2023 le Prix Louise-Labé

 

Dits de la pierre
La feuille de thé éditions
182 pages, 22 €
www.lafeuilledethe.com

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