L’adoption du pass sanitaire par le Conseil constitutionnel attise la fronde des antivacs en France et, dans une moindre mesure, dans d’autres pays européens. A Naples, où je me trouvais, le patrons des trattorias se sont fait un point d’honneur d’appliquer la loi non sans quelques effets à la comedia dell’arte. Cela a conduit à quelques paradoxes saisissants les samedis soir par exemple, :place Bellini : des Bersaglieri de l’armée dûment masqués surveillant les terrasses archi-bondées où la jeunesse napolitaine et étrangère s’agglutinait, bruyante, nombreuse et… démasquée.
Quelques jours plus tôt, toujours dans la ville parthénopéenne, le prestigieux Institut italien des études philosophiques publiait dans « son journal de la crise » les observations de Giorgio Agamben et de Massimo Cacciari, deux philosophes importants, s’il en est. Pour eux le décret du « green pass » que l’Europe est en train de mettre en place est un acte discriminatoire qui fait d’emblée des non-vaccinés des citoyens de seconde zone. Un dangereux précédent pour les démocraties européennes qui hier encore s’arrachaient, et à quel prix, des griffes des dictatures.
Allons-nous devoir produire comme au temps de l’ Union soviétique un passeport de l’intérieur pour se déplacer sur les territoires de nos propre pays ou présenter un carnet anthropométrique pareil aux gens du voyage il n’y a pas si longtemps en France ? C’est ce que craignent les philosophes : « C’est une chose de soutenir l’utilité du vaccin, une autre, tout à fait différente, est de taire le fait que nous nous trouvons d’emblée dans une phase « d’expérimentation de masse » dont le débat demeure sur plusieurs aspects fondamentaux complètement ouvert.». Bref, c’est le statut même de la vérité qui est remis en cause par le discours scientifique ambiant, dénoncent les deux philosophes.
En droit, la manifestation de la vérité est le fruit de la confrontation d’opinions et de points de vue contradictoires ou minoritaires. Mais que pèse l’opinion de ceux qui veulent défendre le droit s’ils sont d’emblée disqualifiés par les détenteurs de la légitimité scientifique ? C’est la toute la question. La science peut-elle seule dire toute la vérité, rien que la vérité et seulement la vérité ?
Comment ne pas être sensibles à la mise en garde des deux philosophes surtout lorsqu’on voit les profits faramineux des « Big Pharma » qui viennent de hausser de manière éhontée le tarif de leurs vaccins et de jeunes démocraties, dépassées par la crise sanitaire, glisser vers la tentation du pouvoir absolu comme cela s’est produit en Tunisie. Rien de nouveau sous le soleil : dans les circonstances « exceptionnelles » l’état d’exception devient un état permanent. Alors que faire ?
Si la vigilance sur le danger de l’abandon des libertés fondamentales est nécessaire, elle n’est pas suffisante pour comprendre ce qui est en train de se passer. Un changement de perspective s’impose. Elle me permettra au passage d’expliquer pourquoi j’ai choisi de me faire vacciner.
En dehors de homologation de la vérité, cette crise met en lumière une autre notion chère à nos démocraties : l’intérêt général. Il existe deux traditions qui s’opposent et se complètent dans nos sociétés libérales : la tradition française, héritée du droit romain et celle anglo-saxonne qui découle plutôt de la souche grecque où prime l’individu. La première consiste à assujettir l’intérêt particulier à l’intérêt général. Ce qui se traduit par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen où la liberté permet de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. La seconde, théorisée par Adam Smith, consiste à privilégier l’intérêt particulier étant entendu que chacun recherchant le bien pour soi, le fait advenir également pour les autres et se traduit, tout compte fait, par enrichissement du bien commun. L‘influence du catholicisme et du protestantisme pour l’une et l’autre conception n’y est pas étrangère. En se résorbant le christianisme a laissé à d’autres pouvoirs la possibilité de les définir avec les dérives que cela induit. Tout le XXe siècle a été l’objet d’une âpre guerre pour tenter d’imposer sa conception de l’intérêt général et du bien commun allant du socialisme à l’ultra-libéralisme. Nous sommes au bout de ce cycle.
Aujourd’hui il s’agit donc de refonder une nouvelle éthique , éthique universelle de droits de la planète pour « faire monde », comme on dit aujourd’hui « faire nation ». Cela aussi n’est pas nouveau. Les révolutionnaires qui alors ont cru pouvoir l’étendre au reste du monde, tel Anacharsis Cloots, ont eu la tête tranchée.
Dans un billet de 1989 publié dans le quotidien « Libération » pour le bicentenaire de la Révolution française, le même Giorgio Agamben démontait l’ambiguïté de la Déclaration des droits de l’homme dont l’universalité supposée ne pouvait être véritablement appliquée qu’ à l’intérieur d’un état-nation.qui le reconnaît à ses citoyens. La lente et difficile application du droit international avec ses échecs ( La société des Nations…) et ses réussites ( Les casques bleus, la Cour pénale internationale… ) met en lumière le long chemin que les institutions inter-nationales doivent encore à parcourir pour y parvenir. Le devoir d’ingérence, impulsée par les ONG durant les années 70 a laissé croire que nous pouvoir accélérer le processus. Mais voici que la crise liée à la pandémie au climat nous oblige à devoir repenser l’universalité de l’intérêt général et du processus individuel d’accumulation de la richesse dans un cadre plus large. Or ce cadre ne pourra plus désormais être assujetti à un territoire national et à ses idéologies. Il doit être appliqué universellement comme un bien commun de l’humanité. C’est un état-culture qui permettrait de faire le passage entre la nation, le monde et les être vivants de la planète terre qui ‘y vivent.
A bon entendeur, Salut !