Qu’est-ce qu’écrire ?
Qu’est-ce écrire sur écran ? Qu’est-ce écrire en ligne ? Voilà trois questions qui s’emboîtent l’une dans l’autre comme autant de poupées russes. D’aucun pourrait affirmer que c’est la même chose. Il est vrai qu’ aligner des mots sur un support renvoie à une maïeutique gémellaire : tirer hors de soi. Car il y a deux mouvements d ans l’écriture. Il a celui de la gestation et de l’accouchement proprement dit . A cet égard Dès lors que les mots ( plus petite unité de sens) sont arrachés du néant intérieur, il s’exposent sur la scène du monde ( la page blanche) et peuvent donc être l’objet de spéculation et d’interprétation. En un mot, ils échappent à leur concepteur et deviennent ainsi autonomes. Ce phénomène est connu et redouble celui de la vie même.
Inutile ici de refaire l’histoire de l’écriture. Si l’essentiel du travail est de former un texte qui a un sens, ce sens demeure en bonne partie influencé par celui à qui il est destiné. C’est là qu’entre en jeu la technique: technique de la langue proprement dite ( grammaire, syntaxe…), technique de reproduction ( codex, livre imprimé, en ligne) . Mais ces techniques de reproduction ne sont pas innocentes et modifient à leur tour non seulement la manière de former ces phrases mais aussi de les faire apparaître.
Jadis le processus de publication supposait d’abord l’existence d’une communauté de lettrés susceptible de comprendre et de commenter les textes écrits. Cette communauté , réunie autour d’un prince, autorisait du coup la circulation de manuscrit et des copies correspondantes. L’existence de cette communauté, peu nombreuse mais influente, puisqu’elle était directement branchée sur le pouvoir était évidemment plus importante que le support lui-même. Car elle permettait de fixer une norme linguistique dans laquelle ensuite pouvait circuler les manuscrit. Plus nombreuse, créative et structurée, était cette cour , plus rayonnante était sa parole , sa norme linguistique. C’est ce qui fait regretter à Dante en 1304, l’inexistence en Italie d’une cour susceptible d’imposer une norme » curiale » qui doit être à la fois le fait du Prince et du poète. C’est ainsi que la le poétique est lié au politique , la langue de la culture à la langue du droit et de la cité, ainsi que le préconisait le sociolinguiste Henri Gobard.