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« Le Bellavista », toute une histoire d’immigration

Le restaurant se trouvait au 88 Montée Masson à Laval.

Le 25 août dernier, le restaurant « Bellavista » est tombé sous le pic des démolisseurs. Pour le lecteur lambda qui me lit via les réseaux  encore moins  pour la jeune génération de Montréalais ou de Québécois, ce nom ne dira rien. Mais pour leurs parents ou leurs grands-parents, cette enseigne évoquera sans doute plus d’un souvenir. Et pour cause. Plusieurs d’entre eux y auront donné leur réception de mariage, d’autres y ont célébré le baptême du petit dernier, ou encore la communion du cadet ou le diplôme de l’aîné et ceci sans parler des nombreuses réunions d’affaires, des meetings politiques, des rencontres associatives et sportives comme le club des optimistes… par exemple. Les célébrités ne l’ont pas boudé tant s’en faut : Un Maurice Richard (champion de hockey sur glace)  ou un René Lévesque, (figure du souverainisme québécois)  y sont venus dîner ou y débattre de politique. Et ils n’étaient pas les seuls. Aujourd’hui de sa fière façade qui imitait en stuc un château médiéval avec ses tourelles, il ne reste qu’un tas de gravats. Seule sa marquise rappelle (mais pour combien de temps) qu’il a été quatre décennies durant, l’un des premiers restaurants familiaux de la grande périphérie montréalaise. Mais aussi et plus encore : un authentique laboratoire du Goût au Québec.

Car l’oncle Michel qui fut également président de l’association des restaurateurs du Québec (ARQ) avait à coeur de transmettre son savoir-faire et sa passion pour la grande cuisine. Parmi ses nombreuses initiatives, le club des « Fines fourchettes » forma une génération de gourmets aux codes de la haute cuisine.

Pour mes frères Gilbert, Gianni, Paul et moi, qui y avons travaillé adolescents, puis jeunes adultes, ce fut le lieu de notre première formation : là où nous apprenions à connaître cette société nord-américaine si particulière dans laquelle nous avions immigré quelques années plus tôt. Mais ce fut d’abord et avant tout le restaurant de l’oncle Michel, notre « oncle d’Amérique ». C’est lui qui avait convaincu nos parents de tenter « leur rêve américain ».

Que ce rêve ait pu s’exprimer en français et au-delà du 22parallèle ne posait pas de problème dans son esprit. L’oncle Michel connaissait déjà la langue de Molière puisqu’il l’avait apprise à l’école hôtelière de Lausanne où il avait été formé. C’est donc en toute connaissance de cause qu’il avait immigré dans ce Canada français, comme on le disait à l’époque, et nous pressait d’en faire autant.

Le règne du « Bellavista » aura duré autant que le règne de la reine Elisabeth qui vient de disparaître. L’oncle Michel (Montaruli de son patronyme) l’avait créée au début des années 50 pour servir la clientèle des vacanciers qui partaient dans leurs chalets des Laurentides. À l’époque, la montée Masson, alors dans le territoire de la municipalité de Saint-François, était l’unique chemin pour s’y rendre. Il fallait s’armer de patience pour passer l’étroit pont de Terrebonne, alors payant où exerçait un jeune étudiant-guichetier qui deviendra Premier ministre : Robert Bourassa.

Le « Bellavista » alors n’était qu’un simple casse-croûte qui permettait aux automobilistes de tromper la faim dans les embouteillages. Mais la société québécoise avait déjà commencé sa mue et le restaurant de l’oncle Michel n’a pas attendu son reste. Quand nous sommes arrivés d’Italie à l’automne 1959, la chenille était devenue papillon : un restaurant en bonne et due forme qui proposait à sa carte, autant des mets français qu’italiens. Sur les murs de sa toute nouvelle salle de réception, trônait, la botte italienne avec ses provinces de toutes les couleurs. À l’entrée, une petite fontaine où les clients lançaient des pièces comme dans la fontaine de Trevi à Rome. Les serveuses, étaient les jeunes sœurs de notre mère. Avec leurs collègues québécoises, elles accueillaient en costume régional, une clientèle qui s’initiait aux cuisines étrangères et à la société de consommation.

On insistera jamais assez sur l’importance de ces lieux que sont les cafés et les restaurants dans la sociabilité d’un pays. S’y croisent l’espace privé et l’espace public. Car dans une permutation conviviale, le restaurateur étranger devient l’hôte de son hôte lui proposant de partager, rien de moins que le goût de son pays natal ! Là, autour d’une table, en dégustant, une pizza ou un tournedos Rossini, en trinquant avec du Québérac, (vin blanc sucre, très populire à l’époque) puis avec un valpolicella, deux communautés se découvraient et apprenaient à s’apprécier et évoluer de concert. Mes frères et moi avons été les témoins de cette transformation qui se faisaient sous nos yeux. Car nous étions, comme toute cette génération partie prenante de changement. Puis le temps a passé et chacun a suivi sa voie.

Je vous écris de la banlieue parisienne où j’habite dans une rue qui porte, ô coïncidence, le même nom en français que la Bellavista : rue de Bellevue ! Quand mon frère Paul, m’a envoyé la photo du restaurant démoli, j’ai eu un pincement au cœur, comme si un être cher venait de mourir. À plus de 4000 km et un demi-siècle de distance, mon passé, notre passé, m’est revenu tel un boomerang. Une page se tournait bel et bien.

J’écris ceci au lendemain de la mort de la reine Elisabeth dont le portrait dans la presse, mais aussi sur les timbres postes et la monnaie allaient accompagner mon quotidien trente années durant. Comme pour beaucoup de Canadiens d’ailleurs. (On en parle beaucoup aujourd’hui même en France). Je ne suis pas sans savoir la lutte que nombre de Québécois ont conduite pour s’émanciper du lien colonial que la Reine représentait. En tant que républicain ayant écrit un essai à cet égard, je peux qu’adhérer à cette cause. Mais la réalité est complexe et soyons fair play en ce moment de deuil et laissons le dernier mot à feu la Reine Elisabeth II. Pour exprimer son attachement à la culture française, elle avait utilisé une piquante métaphore culinaire. «  Le français, avait-elle dit (je cite de mémoire) dans la langue de Molière qu’elle maîtrisait parfaitement, est aussi indispensable à l’anglais comme l’huile l’est au vinaigre pour une bonne salade ! » Elle s’est bien gardée de dire dans ce cas qui est le vinaigre ! C’est une allégorie toutefois que l’oncle Michel aurait appréciée !

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