Alors que s’achèvent les vacances d’été, (nous sommes en août) il est sans doute opportun de s’interroger sur la signification du tourisme de masse qui reprend timidement en Europe en ce temps de pandémie et de canicule. Je reviens d’un séjour de Naples qui fut, hier encore, l’étape obligée du « Grand Tour ». Avec Venise, Florence, Rome, la région parthénopéenne constituait le relais incontournable du fameux «voyage en Italie ». Voyage de formation s’il en est, que les lettrés et intellectuels du passé se devaient d’accomplir avant de se lancer dans l’élaboration de leur grand œuvre. Montaigne, Stendhal, Freud furent parmi ces voyageurs qui se sont extasiés devant la beauté de sa baie et l’incroyable richesse de son patrimoine.
C’est Charles de Bourbon, un roi éclairé, qui fit de la capitale du Royaume des deux Siciles l’une des toutes premières grandes villes européennes et une station incontournable du « Grand tour ». En initiant les fouilles de Pompéi et d’Herculanum en 1743, il donnait à ces voyageurs privilégiés une raison supplémentaire de s’y arrêter. Ainsi relier le formidable héritage de la latinité enfoui à leur modernité, héritée des Lumières.
Mais au-delà des vestiges romains, que cherchaient donc ces itinérants prestigieux ? L’émotion, le transport amoureux, la découverte du beau. C’est Lamartine s’amourachant de « Graziella » dont il fera un livre, Stendhal et son « syndrome » , succombant au vertige esthétique, Freud en quête de la Gradiva bref l’inspiration qui met en relation sa propre intériorité avec la dimension sacrée des origines.
Aujourd’hui le tourisme de masse ouvre à tout un chacun le Grand tour mais désormais ces étapes sont muséifiées, cristallisées dans l’éblouissement de leur souvenir. Si le touriste contemporain, imbu de la même quête émotionnelle, met ses pas dans ceux de leurs célèbres prédécesseurs, la manière pour l’exprimer est devenue parodique. C’est à dire illusoire.
Incapables de lui donner un sens , un ordonnancement, le touriste ne peut que la reproduire par des images qu’il enregistrera en rafale sur son smarthphone et qu’il balancera le jour même sur les réseaux sociaux. L’image ainsi devient cliché. C’est une image vide : elle désigne le lieu sans avoir lieu , c’est à dire sans se mettre en mouvement. Tel est le drame silencieux de notre époque. Ce n’est pas nouveau, me direz-vous, certes mais aujourd’hui le développement du tourisme, première industrie planétaire, et du numérique, est tel qu’il rend presque impossible le mouvement, c’est à dire la reconnaissance de la création véritable. L’obsolescence programmée des images est devenue industrielle. Nous vivons dans un cimetière d’images mortes dont nos voyages touristiques sont les parodies : des allégories. Pour les désensabler le voyage et restituer leur mouvement aux images qu’on lui arrache, il faut pouvoir les raconter. Mais en avons-nous la volonté ? La narration, l’art de la narration s’est perdu, c’est à dire la capacité d’être en relation avec soi et le monde. Mais qu’est-ce qu’une image ? Revenons aux latins . L’imago ou image était à le masque funéraire des ancêtres que la patriciens romains accrochaient à leur murs pour se souvenirs d’où ils étaient issus. C’est également une définition du symbole.
A bon entendeur, salut !